Les réverbères : arts vivants

Raconter avec ses pieds

Vous pensiez que les claquettes, c’était ringard ? Daniel Leveillé vous prouve le contraire dans son virevoltant spectacle, En attendant John Bubbles. C’était au douze dix-huit, du 8 au 12 décembre. Ou comment raconter l’histoire de la tap dance sans prononcer un mot. Brillant.

Sur une scène qui ressemble à l’intérieur d’un bureau, un métronome se met en marche. Daniel Leveillé s’installe face à un double miroir et s’échauffe, d’abord doucement, avant que ses pieds ne se mettent à virevolter, entraînés dans la danse à laquelle ils sont tant habitués. Puis, semblant attendre quelque chose – le fameux John Bubbles du titre ? – il entame des recherches sur son art. Le site « Gogole », projeté directement sur le bureau, propose d’abord des résultats plutôt inattendus, avant de s’intéresser à Fred Astaire. Son Puttin’ on the Ritz résonne alors que les images sont projetées au fond de la scène. Daniel ouvre son armoire et y trouve le même costume. Il danse comme la star, reproduisant ses mouvements à la perfection. S’ensuivront d’autres recherches, d’autres apparitions de chaussures et costumes dans la fameuse armoire. Articles Wikipédia, interviews et extraits de spectacles à l’appui, Daniel retracera l’histoire de la tap dance, de ses origines à ses surprenantes variantes modernes.

Une histoire sans mot

La particularité de ce spectacle est l’absence de mots. Les seuls que l’on entendra seront des extraits d’interviews d’anciennes célébrités de la claquette, ou la voix de l’assistant Google qui lit des extraits de Wikipédia. Le reste, Daniel Leveillé nous le raconte avec ses pieds. On apprend ainsi que l’origine de cet art si particulier se trouve chez certains esclaves qui, n’ayant pas le droit de communiquer entre eux, inventent un système basé sur les percussions. Le danseur de claquettes est donc aussi percussionniste. Partant de danses africaines revisitées, Daniel passera à la gigue irlandaise, puis au music-hall américain, en faisant des allers-retours entre les diverses influences de son art. Pour ce faire, il est bien aidé par les arrangements musicaux et les lumières de la scène, qui mêlent les diverses musiques et lui permettent de jongler entre les différentes danses. À travers son spectacle, Daniel Leveillé revient ainsi à l’essence même de son art : la communication à travers la percussion des pieds.

Et John Bubbles dans tout cela ? Il est considéré comme l’inventeur de la tap dance moderne, avec tous ces sons qui s’intercalent grâce aux plaquettes placées sous les chaussures. Le rythme n’est ainsi plus régulier et se permet d’infinies variations. À chacun·e, ensuite, de trouver son propre style. Car ce spectacle est aussi un hommage aux grands noms de la discipline, en particulier ce fameux John Bubbles, sans qui rien n’aurait été possible. Car il est le premier à avoir raconté son histoire avec ses pieds. L’un des danseurs dont un extrait d’interview est projeté dira même pouvoir reconnaître chaque danseur de claquettes en écoutant uniquement le son produit par ses pieds. C’est dire…

Des numéros originaux

Sur la scène du douze dix-huit, Daniel Leveillé virevolte, s’envole pour occuper tout l’espace, glissant d’un côté à l’autre du plateau à la manière d’un patineur. Les numéros s’enchaînent, tous différents, mais avec un point commun : la qualité de leur performance. Car le talent est bien là ! Non content de reproduire, quasiment à l’identique, les mouvements de Fred Astaire ou John Bubbles, Daniel s’inspire de danses connues pour inventer ses propres numéros. On a évoqué les influences entre danses africaines et gigue irlandaise, mais il parvient encore à nous surprendre en dansant la claquette sur de la techno, et même de la pop ! Plus fort encore : il effectue des claquettes avec ses doigts, et jongle même tout en dansant. Inventif, n’est-ce pas ? On peut le dire, Daniel Leveillé, en rendant hommage au plus grand et en retraçant l’histoire de son art, a trouvé son propre style, qu’il dévoile et développe à merveille devant nos yeux ébahis. Le public ne s’y trompe pas en lui réservant une ovation plus que méritée. On aurait voulu que ça dure encore et encore… jusqu’à cette fin en forme d’apothéose poétique, sur un air de piano, dansant dans le sable tombé du ciel. On n’en dira pas plus. Il faut le voir pour le vivre.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

En attendant John Bubbles, de Daniel Leveillé, du 8 au 12 décembre 2021 au Théâtre Le douze dix-huit.

Distribution :

De et avec : Daniel Leveillé

Chorégraphies : Fred Astaire, Steve Condos, John Bubbles, Daniel Leveillé

Scénographie et décors : Samantha Kiss

Costumes : Eloïse Geissbühler

Consultant·e·s chorégraphies et musique : Ndongo Beye, Carla Gover, Marìa Ferrer, Maurizio Mandorino, Chris Naish, Mbar Ndiaye

Collaboration artistique : Lia Leveillé-Mettral

https://ledouzedixhuit.ch/spectacle/en-attendant-john-bubbles/

Pour découvrir le travail de Daniel Leveillé : https://www.danieleveille.com/

Photos : © Nadir Mokdad

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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