Redécouvrir la Maison Saint-Gervais autrement
Avec À propos de la Maison Saint-Gervais, Dominique Gilliot propose un spectacle surprenant, drôle, pop et poétique, pour faire connaître l’histoire des lieux sous un angle inédit. C’était à voir du 12 au 15 juin.
Ça commence comme un show à l’américaine : une poursuite éclaire le plateau et les gradins, à la recherche de notre artiste. Et voilà qu’iel débarque, de manière totalement inattendue, de la régie ! Le tout, en chantant à propos de la Maison Saint-Gervais, en donnant des indications formelles et techniques dessus. C’est comme un générique de début. Dominique Gilliot enchaînera ensuite en se présentant, d’abord en évoquant sa non-binarité et la dimension queer qui l’accompagne, puis en ajoutant qu’iel est Français. Il ne fallait pas choquer le public genevois en lançant cette information en premier ! Puis, après nous avoir présenté les éléments de scénographie – des vieux ordinateurs et lecteurs, un « pouf » lumineux, un miroir ressemblant à ceux des loges, ou encore son espace de travail – iel nous raconte l’histoire du lieu, de ses architectes, de la Maison des jeunes, avec ses différents ateliers, jusqu’au théâtre d’avant-garde qu’elle proposait durant un temps… tout est narré à travers le regard de Dominique Gilliot, avec une dimension sensible, personnelle et souvent absurde. On rit beaucoup, mais on apprend aussi, sans le côté documentaire ennuyeux.
Un spectacle aux influences variées
Dominique Gilliot nous le dit d’entrée : iel ne vient pas du théâtre, mais du monde merveilleux de l’art contemporain. Cela expliquerait-il le regard décalé et différent de ce qu’on a l’habitude de voir ? Quoiqu’il en soit, iel nous avertit que le propos ne sera pas exhaustif. Par exemple, il ne sera que très peu, voire pas du tout question des directeur·ice·s des lieux. Dominique Gilliot s’est ainsi approprié l’histoire, s’imprégnant de tout ce qu’on lui a raconté, à sa manière, pour parler notamment de la question de l’abondance. Celle-ci est abordée à travers la présence des écrans et autres appareils électroniques qui foisonnent dans les salles de la Maison Saint-Gervais. Et pour évoquer cela, comme une forme d’adolescence de l’art, iel convoque différentes influences, pour un spectacle difficile à classer. On évoquera ainsi une véritable performance hybride, avec comme élément central le fait de se faire plaisir. Car on le ressent, Dominique Gilliot s’amuse énormément sur la scène de la Maison Saint-Gervais !
On a déjà évoqué le côté talk-show à l’américaine, avec son entrée. Celui-ci est encore rappelé par l’interview complètement décalée qu’iel réalise d’un·e membre du public. En l’occurrence, c’était… moi-même ! La dimension de l’adolescence de l’art nous est également rappelée par certains moments chantés, où la performance de Dominique Gilliot rappelle un·e adolescent·e, dans sa chambre, en train de chanter devant son miroir ou les posters de ses idoles. Les chansons, d’ailleurs, ne sont parfois pas sans rappeler François Pérusse, par leur côté absurde et certaines sonorités. On évoquera aussi la ressemblance avec le stand-up, Dominique Gilliot s’adressant au public à travers un micro, avec quelques interactions propres à cet art. Sans oublier quelques passages inclassables, comme les extraits de musique médiévale – sur lesquels l’artiste s’amuse particulièrement en dansant – ou encore la reproduction de scènes de théâtre d’avant-garde, pour notre plus grand plaisir !
Apprendre de manière ludique
Si la forme est complètement hybride, Dominique Gilliot n’en oublie pas pour autant le fond. Car, durant un peu plus d’une heure, on apprend finalement beaucoup de choses, que ce soit sur l’histoire du bâtiment, son architecture, son passé de Maison des Jeunes, ou encore sur la fresque de la façade, ressemblant à deux hommes qui s’enlacent. Un joli clin d’œil, d’après Dominique Gilliot, à la relation équivoque entre les deux architectes – Quant à savoir si ceci est avéré ou sorti de son imaginaire…
Par moments, les propos de Dominique Gilliot sont sans filtre, sans pour autant en devenir choquants ou déplacés. On perçoit plutôt une forme d’engagement, avec la dénonciation de certaines choses qui dégoûtent l’artiste. On pense à cette fameuse phrase « Je ne suis pas homophobe, j’ai d’ailleurs un ami… », qui lui donne envie de « se laver la langue avec du savon ». Sous couvert de l’humour, avec un engagement qui n’est pas frontal, Dominique Gilliot affirme ses convictions avec une certaine subtilité. Le fond et la forme se rejoignent ainsi, dans un accord parfait avec l’esprit de la Maison Saint-Gervais. L’artiste réussit ainsi le tour de force de s’en imprégner totalement, pour le retranscrire sur la scène. En attendant qu’iel devienne artiste associé, comme iel aime à le dire, bien qu’on ne le lui ait toujours pas annoncé officiellement ?
Fabien Imhof
Infos pratiques :
À propos de la Maison Saint-Gervais, de Dominique Gilliot, du 12 au 15 juin 2025 à la Maison Saint-Gervais.
Mise en scène : Dominique Gilliot
Avec Dominique Gilliot
Dramaturgie : Adina Secretan
Chansons : Dominique Gilliot et Antoine Pesle
Création son, régie son : Antoine Pesle
Création lumière, régie lumière : Myriam Ajdallé
https://saintgervais.ch/spectacle/a-propos-de/
Photos : ©Maison Saint-Gervais