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Chronique de Carélie du Nord 3/4

À l’été 2023, notre chroniqueuse Elise Gressot a eu la chance d’être invitée à un mariage en Finlande. Une fois sur place, elle a exploré une partie du pays, infime malgré les quelques trois cent kilomètres parcourus, à pied et en autonomie. Cette chronique propose des morceaux choisis de ce périple.

Une fois Möhkö atteint – le village le plus oriental de l’Europe continentale –, mon charitable chauffeur improvisé me dépose devant une péniche à quai, en insistant manifestement pour que j’y pénètre[1]. Ce n’est qu’à l’intérieur de ce qui se révèle un café que je comprends pourquoi, tandis qu’apparaît une serveuse qui parle anglais. On prend plaisir à converser, mais comme elle ne peut rien m’apprendre au sujet du Susitaival – littéralement le « Sentier du loup » – que je m’apprête à fouler, elle m’oriente vers la guide du musée local.

Puisque la guide non plus n’en sait pas davantage que les informations déjà en ma possession, elle me transmet le numéro d’un employé de l’office du tourisme de la ville la plus proche, Ilomantsi, et qui, lui, a déjà sillonné le Susitaival. Au téléphone, mon interlocuteur se montre passablement soucieux et surpris que je sois parvenue à me procurer une carte de l’itinéraire, non rééditée depuis quelques années. J’essaie de le rassurer en lui expliquant que j’ai déjà effectué maintes marches de plusieurs jours, en solitaire. Voyant que son inquiétude persiste, je lui promets de ne pas m’engager sur le chemin en cette fin d’après-midi, un tempétueux orage étant annoncé.

Peu après, une grosse averse éclate, moins violente que prévu. Trépignant sous le porche du musée désormais fermé, je regretterais presque d’avoir retardé mon départ, avant de me raisonner : invariablement tenir compte des recommandations de celles et ceux qui connaissent les lieux… Ne sachant où dormir, je repense à l’avenante serveuse du café, Katri, qui m’a décrit assez précisément la bâtisse où elle séjourne – en temps normal repaire des chasseurs du coin, qui la lui louent à bon prix pour la saison. Revêtue de ma cape de pluie, je me lance à sa recherche.

J’échoue dans un bocage où s’étend une kyrielle de maisonnettes vermeilles identiques, à l’abandon. Les indications fournies coïncident pour la plupart : un pavillon de chasseurs cramoisi, au-delà du pont qui chevauche la rivière, jouxtant l’orée du « Sentier du loup ». Sculptés dans le bois, un ours et son pisteur, fusil à la main, ne peuvent se dresser là par hasard. Mais plus j’avance à travers les herbes hautes gorgées d’eau, plus il me semble étrange que Katri ait dépeint son gîte comme reconnaissable entre mille, et non comme un hameau de bungalows fantôme. Après avoir erré parmi ceux-ci jusqu’à en éprouver une sensation de vertige, je regagne la route, l’humeur plus moribonde que jamais. Le soleil se couche, et j’ignore toujours où je vais pouvoir l’imiter.

Depuis le début de l’ondée, je n’ai plus aperçu personne, quand une rare voiture s’arrête à mon côté. Son conducteur me demande si j’ai besoin d’aide ; par chance, il comprend un peu l’anglais. Habitant lui-même dans un village voisin, il ignore où Katri réside, mais connaît cependant le mari de son employeuse, qu’il appelle immédiatement. Ayant obtenu des précisions pour trouver son logis, il me propose de m’installer dans le coffre de son véhicule, en le laissant ouvert.  Il serait en effet contre-productif d’ôter ma cape trempée par la pluie incessante pour me départir de mon volumineux sac à dos, dans l’unique but de m’asseoir quelques minutes à peine sur un siège, avant de devoir me rééquiper. J’admire donc les lueurs dorées qui fulgurent au lointain vespéral depuis cette place de choix, le visage chatouillé par l’accélération prudente de mon nouveau bienfaiteur.

Enfin arrivés devant la fameuse demeure des chasseurs, je frappe à la porte. Pas de réaction. On s’y met à deux, énergiquement. Rien. On tambourine de toutes nos forces. Toujours rien. Mon acolyte, moins timide, ouvre alors la porte, et hèle Katri à pleins poumons. Silence. Il entre et, d’un pas décidé, parcourt la totalité des pièces, tandis que je me fige sur le seuil, mi-interdite mi-amusée. Personne. Il rappelle son comparse, pour obtenir le numéro de l’insaisissable Katri. Là encore, aucune réponse. Dépassée par l’absurdité du terme de cette journée et ses rebondissements sans fin, j’emboîte néanmoins docilement le pas à mon secourable complice, lorsqu’il retourne dans le jardin une troisième fois. Il entrebâille alors la porte du kota, un abri clos issu de la culture samie où brûle traditionnellement un feu, dans lequel on tombe nez à nez avec Katri et deux de ses amis.

Un instant plus tard, nous rions ensemble de toutes ces péripéties et de leur dénouement, une bière à la main, autour des flammes qui illuminent la nuit… Aux espoirs et aux craintes, formulés ou seulement affleurés dans les rêves, succédera dès le lendemain la découverte tant attendue du « Sentier du loup », jalonné de feuillages soleilleux, de baignades vivifiantes, de rencontres inopinées et allègres (davantage animales qu’humaines, celles-ci notablement sporadiques[2]), ainsi que d’arc-en-ciel duveté de nuées barbes-à-papa.

À suivre…

Elise Gressot

Photos : © Elise Gressot

[1] Avec des gestes, car comme relaté dans la précédente chronique, nous ne partageons pas de langue commune.

[2] Au fil des cent kilomètres du Susitaival, je n’entrevois jamais quiconque sur le parcours pédestre, et rencontre seulement une dizaine de personnes éparses, aux abords de pistes carrossables.

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