Rencontre entre deux âmes sœurs ?
Les Amis musiquethéâtre accueille en ce moment Anne Durand et Thierry Jorand, avec Hiver, dans une mise en scène d’Hervé Loichemol. Un texte sur un fil, constamment dans un entre-deux, porté par deux magnifiques acteur·ice·s et une mise en scène subtile.
Hiver, c’est l’histoire d’une rencontre entre deux êtres. Est-on dans la rue ? Dans une station de métro ? Peu importe finalement. Elle semble en détresse, il ne fait que passer avant un rendez-vous professionnel. Elle l’appelle, il l’ignore. Elle insiste, il finit par revenir en arrière et écouter ce qu’elle a à lui dire. Alors la discussion se fait, parfois décousue, et il finit par l’héberger dans sa chambre d’hôtel. Les liens se nouent, ambigus, indistincts. Et c’est ce qui est beau : on ne sait trop quelle est la nature de leur relation, ce qui laisse place à tous les possibles.
Sur le fil de l’indécis
Le texte de Jon Fosse suggère énormément, sans donner de réponses claires. Les phrases sont brèves, et bien souvent ne se terminent pas, comme des réflexion qu’on aurait dans la tête, ou un moyen d’exprimer une sorte de gêne entre deux êtres qui ont envie de se parler, mais ne savent pas vraiment quoi se dire. Leurs propos sont ponctués de « oui » réguliers, comme on se le dit dans notre tête, ou comme une forme de validation de ce qu’iels disent avec une grande incertitude. Aux spectateur·ice·s de construire la fin de ces phrases…
Dès lors, l’histoire peut prendre une infinité de chemins : Se connaissaient-iels ? Viennent-iels de se rencontrer ? Est-elle droguée, fatiguée, ivre, simplement triste ? Est-elle une prostituée ou une femme à la rue ? Est-il d’une profonde gentillesse et aide-t-il sincèrement cette femme ? Ou cherche-t-il au contraire à profiter d’elle ? Les questionnements pourraient être infinis, car le texte ne dit rien de tout cela. Il exprime plutôt leurs doutes, leurs interrogations, dans une forme d’entre-deux jamais résolu. La mise en scène d’Hervé Loichemol a cette finesse d’indiquer quelques pistes, sans apporter pour autant de réponse toute faite, permettant au public de demeurer sur ce fil, et de choisir, en partie du moins, le sens qu’il veut donner au propos.
Des comédiens funambules
Il serait pourtant simple de tomber dans quelque chose de donné, avec une mise en scène trop dirigée dans un sens ou dans l’autre. Il faut souligner aussi la grande réussite d’Hervé Loichemol, qui parvient à rester dans cet entre-deux constant, où seuls les lieux sont imagés : la rue et la chambre d’hôtel. Mais on pourrait être n’importe où, en somme. Cette indécision est également portée par deux comédien·ne·s au sommet de leur art. Dans la première Anne Durant interprète parfaitement son rôle de femme en détresse : le regard perdu, la gestuelle mal assurée, le pantalon plein de terre. On ne sait rien de ce qui lui est arrivé, mais lorsqu’on voit le résultat, on se dit que cette personne a besoin d’aide et de repères. Ce repère, il survient du personnage de Thierry Jorand. D’abord assez passif, il se tient quelque peu en retrait, observant, comprenant cette détresse. D’abord réticent, il se décide finalement à l’aider, de peur peut-être qu’elle ne se remette pas de sa situation ? Ou alors, si notre esprit est plus vil, on pourrait se dire qu’il cherche à profiter de la situation. Au fil de la discussion, on découvre quelques éléments de sa vie, notamment familiale. Et d’autres interprétations nous viennent en tête…
La seconde partie, qui prend place quelque temps plus tard – une fois encore, le temps n’est pas précisé – et dénote une forme de renversement. Cette fois, c’est lui qui semble en détresse, en manque de cette femme qu’il n’a pas retrouvée depuis un moment, et ce n’est pas faute d’avoir cherché ! Elle semble plus sûre d’elle, avec sa perruque rouge et ses beaux vêtements – ceux-là que l’homme lui avait offerts dans la première partie de la pièce – et paraît réticente à retourner auprès de lui. Pourquoi ? On ne le saura jamais… Est-ce elle qui a finalement profité de lui ? Veut-elle le protéger de quelque chose ? Qui sait. La tension entre les deux parties, entre ces deux êtres entre lesquels un lien est désormais noué, demeure, et induit de nouvelles réflexions.
Alors, on se dit que ce sont peut-être deux âmes sœurs égarées qui se sont retrouvées ? Est-ce le bon moment et pourront-elles demeurer ensemble ? On n’en sait rien, mais on a très envie d’y croire… Et vous ?
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Hiver, de Jon Fosse, traduit du norvégien par Terje Sinding, du 25 avril au 14 mai 2023 aux Amis musiquethéâtre.
Mise en scène : Hervé Loichemol
Avec Anne Durand et Thierry Jorand
https://lesamismusiquetheatre.ch/hiver-creation/
Photos : © Anouk Schneider