Renouer les relations mère(s)-fille(s)
Dans une ferme reculée de Virginie, Charlie vient aider sa mère Laura, souffrante. L’arrivée de Solange, la grand-mère excentrique ne va rien arranger. Au fil des saisons est une production franco-belge, réalisée par Hanna Ladoul et Marco La Via, qui questionne les relations mère-fille et d’autres thèmes, plus larges encore…
Charlie, 20 ans (Morgan Saylor), étudie la finance dans une grande université américaine. Sa mère Laura (Andrea Riseborough) élève des poules, produit des légumes et vit principalement de la vente des œufs et du troc avec d’autres producteur·ice·s du coin. Autant dire que les deux n’ont rien en commun. Seulement voilà, le cancer dont souffre la mère va les contraindre à cohabiter et, inévitablement, à les rapprocher. Mais attention à l’intervention d’une troisième entité : Solange (Catherine Deneuve), la mère française de Laura, débarque, quatre mois après avoir été prévenue de la maladie de sa fille. Les tensions sont également présentes, et le fait que Charlie n’ait pas eu vent de l’existence de sa grand-mère ne va pas aider. Dès lors, comment cohabiter, soutenir Laura dans cette épreuve et maintenir la productivité de la ferme ?
Un scénario sans grande surprise
Qu’on se le dise d’emblée, Au fil des saisons ne révolutionne pas le genre, et la relation entre les trois femmes va évoluer dans le bon sens. Avant l’arrivée de Solange, Charlie et Laura commencent à bien s’entendre, alors que Charlie découvre le quotidien fastidieux de sa mère et finit même pas prendre sa place, cette dernière devenant trop faible pour assurer les nombreuses tâches quotidiennes. Charlie n’en oublie pas pour autant ses cours, et continue de suivre son cursus à distance. Les désaccords sont nombreux, mais au fil du temps, une certaine compréhension, voire même de la complicité, naissent. Le tout est plutôt bien amené, avec un bon rythme. Doit-on y reconnaître la patte de Martin Scorsese, producteur du film ? À l’arrivée de Solange, on a l’impression que tout est à refaire, mais pour la génération précédente. Si Charlie se montre tolérante et à l’écoute de cette grand-mère dont elle ignorait l’existence, Laura se révèle bien moins patiente. Quand on apprend par quoi elle est passée, on ne peut pas vraiment la blâmer. Mais si Solange n’a pas été à la hauteur en tant que mère, il faut reconnaître que comme grand-mère, c’est autre chose ! Et cela va aider, bien sûr, à apaiser les tensions.
L’entente naît aussi des difficultés auxquelles les trois acolytes doivent faire face ensemble : il était déjà compliqué de joindre les deux bouts en fin de mois, mais lorsque la grippe aviaire fait son apparition et que le gouvernement ordonne d’abattre toutes les poules du comté par précaution, la situation devient intenable. Charlie et Solange ne peuvent s’y résoudre : le choc serait trop dur à encaisser pour Laura dans son état, et en plus, c’est la faillite assurée. Alors, avec l’aide d’une voisine, elles imaginent un stratagème et ne disent rien à Laura. Un bel élan de solidarité, en accord avec ses valeurs à elle. On appréciera d’ailleurs ici le clin d’œil à OSS 117, ouvertement affirmé par le personnage de Solange, alors que les poules, plongées dans le noir, ne font pas un bruit. Un clin d’œil que l’on comprend d’autant mieux lorsqu’on sait que c’est Ken Samuels, alias Bill Trumendous dans le deuxième opus, qui interprète le shérif avec lequel Solange entretient une relation amoureuse…
Au final, Au fil des saisons ne révolutionne certes rien dans le cinéma, mais tout y est plutôt bien fait. Voilà donc un joli divertissement, avec une histoire sincère à voir. Le titre se justifie par l’évolution des relations, suivant les saisons, avec un été où tout est chaud, un automne où la situation se calme, un hiver rude et un printemps où tout renaît. Exit le jeu de mots du titre original Funny birds – qui joue sur l’importance des poules et le fait que ces trois femmes sont de drôles d’oiseaux…
Un film engagé ?
Mais derrière tout cela, il y a aussi un certain engagement. Le féminisme d’abord, est bien présent, ouvertement revendiqué par Solange et son envie d’indépendance, elle qui tente de convaincre la voisine enceinte de ne pas allaiter pour se libérer de cette charge. Il faut dire aussi que l’on assiste à l’alliance de trois femmes, de trois générations différentes, qui s’en sortent seules face à une situation compliquée – maladie, faillite potentielle, enquête policière et gouvernement qui n’aide pas les « petites gens » – soutenues par une voisine dont le mari avait dans un premier temps refusé de leur apporter de l’aide, par peur… On évoquera aussi l’engagement anticapitaliste, puisqu’elles refusent de céder devant les pressions du gouvernement, et sauvent – pour la seconde fois – des poules destinées à être abattues. Le choix de faire se dérouler l’action aux États-Unis se justifie alors pleinement, tout étant vécu à plus grande échelle dans ce système.
N’oublions pas, enfin, que ce film présente une grande dimension comique, qui amène un peu de légèreté à ces sujets qui en manquent cruellement. Avec cette dimension et la profondeur apportée par ces thématiques fortes, Au fil des saisons s’avère un bon divertissement, avec quelques questions actuelles soulevées en filigrane.
Fabien Imhof
Référence :
Au fil des saisons (Funny birds), réalisé par Hanna Ladoul et Marco La Via, Belgique – France, sortie en salles le 21 février 2024.
Avec Catherine Deneuve, Andrea Riseborough, Morgan Saylor, Ken Samuels, Joseph Olivennes, Naïma Hebrail Kidjo…
Photos : © DR