Succéder à un père absent
Librement adapté du roman L’Ascendant d’Alexandre Postel, Le Successeur, réalisé par Xavier Legrand, présente un jeune couturier en plein succès, dont la vie est bouleversée par la mort de son père avec qui il était en froid depuis plusieurs années.
Ellias (Marc-André Grondin) est le nouveau directeur artistique d’une grande maison de haute couture. Sa première collection – le film s’ouvre d’ailleurs sur le défilé qui l’accompagne – est un immense succès. Il doit faire la couverture des plus grands magazines, le public est unanime sur la qualité de son travail. Tout lui réussit donc, si ce n’est quelques petits problèmes cardiaques, mais qui doivent être facilement réglés. Jusqu’à ce que son père, avec qui il n’était plus en contact depuis longtemps, décède subitement d’une attaque cardiaque. Ellias doit alors rentrer au Québec pour organiser les funérailles et vider la maison de son père. Le successeur d’un grand couturier devient alors aussi celui de choses auxquelles il ne s’attendait pas. Certaines mauvaises surprises pourraient d’ailleurs changer sa vie à jamais.
De lourds secrets
En général, lorsqu’un proche meurt, il y toujours quelques surprises au moment de trier ses affaires : des dettes, des propriétés non-déclarées, un testament inattendu, des objets accumulés au fil du temps dont il va falloir se débarrasser… Seulement voilà, pour Ellias, la surprise est bien plus importante et surtout, bien pire. On ne la dévoilera pas ici, au risque de gâcher tout le cœur de l’intrigue. On évoquera seulement une pièce secrète découverte dans la cave, derrière le cellier, alors qu’Ellias cherchait une bonne bouteille à déboucher avec Dominique, le meilleur ami de son père (Yves Jacques).
Toute l’intrigue est donc centrée autour d’Ellias, constamment présent à l’écran ou presque. Lorsqu’il ne l’est pas, tout n’est qu’obscurité, comme pour illustrer la noirceur qui s’empare de lui, malgré lui. On pense au plan filmé depuis l’intérieur de la voiture, alors qu’Ellias atteint un point de non-retour, et où l’on aperçoit seulement les arbres dans la pénombre, à travers les fenêtres. Le traitement de l’image est ainsi particulièrement méticuleux, comme dans cette scène où l’on voit Ellias et d’autres éléments présents s’effacer petit à petit, pour marquer non seulement l’évolution du temps, mais aussi l’effacement nécessaire desdits éléments.
Un scénario pas toujours crédible
Si l’histoire s’avère assez originale, quelques éléments font qu’on n’y croit malheureusement pas totalement. La situation, pourtant dramatique, prête à sourire un peu malgré nous. On se demande par exemple pourquoi c’est lui qui est le principal héritier, alors qu’il avait coupé les ponts avec son père et que ce dernier avait des amis très proches et un testament. Et encore, ceci n’est rien : on se demande surtout comment personne n’a pu se rendre compte de ce que faisait le père, avec l’achat de cette maison dont personne n’était vraiment au courant, à l’exception de ses voisins et de son meilleur ami. Même sa famille, bien que peu proche de lui, n’était au courant de rien. Un peu gros, non ? Quant à Ellias, il passe totalement entre les gouttes après avoir découvert la vérité. Et alors que son comportement est plus que suspect, on s’étonne que personne ne s’inquiète plus que cela de son attitude, de ses larmes excessives pour un père qu’il abhorrait… Il est sans doute facile de se dire cela derrière notre écran, en ayant connaissance de tout ce qui se passe, mais tout de même… Cela donne au Successeur un côté pas toujours crédible qui nous empêche d’entrer totalement dans ce qui devrait être un drame familial profond.
Ceci est d’autant plus dommageable que l’idée est originale, avec beaucoup de moments peu prévisibles, sans pour autant tomber dans un scénario surréaliste. Le Successeur demeure donc intéressant à cet égard, et il serait sans doute pertinent de le comparer au roman duquel il est librement inspiré, pour voir ce que Xavier Legrand en a modifié.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Le Successeur, réalisé par Xavier Legrand, France – Canada – Belgique, sortie en salles le 21 février 2024.
Avec Marc-André Grondin, Yves Jacques, Anne-Elisabeth Bossé, Blandine Bury…
Photos : ©DR