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Requiem pour un frère

« Il y a quelque chose d’insupportable à reprendre la vie telle qu’elle était avant. Il faudrait se tatouer le mot mort sur le front, se raser le crâne, prendre ou perdre cent kilos, se teindre les cheveux en vert. Eh bien non, travail, famille, quotidien, tout continue comme si de rien n’était. Nul ne se doute de notre chute, alors qu’au fond de nous-mêmes, vole en éclats l’échelle. » (p. 37)

Greg ou rien, c’est l’histoire de la mort d’un frère, à la fois soudaine et attendue. Il y avait des signes avant-coureurs, mais cela n’enlève rien à la peine de Guillaume Favre, qui signe ce texte bouleversant aux éditions Cousu Mouche. Un soir d’automne 2016, durant une nuit sans lune, après avoir perdu sa mère quelques temps auparavant, il apprend la disparition de son frère. Les pensées se bousculent entre souvenirs, regrets, culpabilité, avenir rêvé, douleur… ce sont toutes ces émotions et bien d’autres encore qu’il retranscrit dans ce livre en forme de requiem.

« La poésie résiste-t-elle à la vue du sang,
à l’angoisse des nuits sans lune,
à ce qui fans la vie fait récit ? »
(p. 23)

Ce texte ressemble beaucoup à de la poésie libre, d’un point de vue formel. Les phrases, qui n’en sont pas toujours vraiment, résonnent comme des vers lâchés au vent, sans rime, sans effet de style. Juste des pensées qui se succèdent. Le récit peut ainsi paraître décousu, mais s’apparente plutôt à un fil de pensée qui tisse des liens très personnels et parfois inexplicables entre différentes idées. Voilà le reflet de cette sensation de perte que nous avons toutes et tous connu, à un moment donné de nos vies.

« sans mythologies ni rancune
la mort nous a rassemblés

indécise obscurité du temps » (p. 104)

Certains passages rappellent Sans mythologies, ce long poème en prose, deuxième publication de Guillaume Favre, paru en 2016. La forme évoque ainsi ce précédent texte, mais est agrémentée cette fois de nombreuses références, rassemblées dans l’impressionnante bibliographie finale. Ces références, à des films, des chansons, des moments vécus ensemble, s’adressent toutes à Greg. Greg ou rien est ainsi comme un poème déclamé, un lien qui demeure dans un rapport fraternel inaliénable. C’est aussi une forme d’espoir, lorsqu’il se demande où se trouve Greg désormais : « Dans cette autre vie ? Là où il espérait retrouver Maman ? Est-ce vanité, sagesse, ou détresse ultime que d’imaginer d’autres saisons après la mort ? » (p. 65). Greg ou rien n’est donc pas qu’une longue lamentation. De nombreux sourires émaillent la lecture, dans les bons souvenirs racontés. Avec ses mots très personnels, Guillaume Favre parvient ainsi à évoquer tout ce qu’on ressent après la perte d’un être cher, et toutes les émotions qui se bousculent dans nos têtes et dans nos cœurs. Et ce sentiment qu’il est toujours là, alors que non…

« Trop d’horreur s’est déversée en moi… Je veux pédaler ma vie, écrire ce qui ravage de l’intérieur.

les pensées qui étranglent

Il y a deux ans, à 21h, je t’appelle et parle avec ta mort. Tu n’es plus de ce monde. Mais je pédale et

au risque de disparaître

vole dans la lumière des arbres » (p. 118)

Fabien Imhof

Référence :

Guillaume Favre, Greg ou rien, Éditions Cousu Mouche, 2023, 175p.

Photo : © Fabien Imhof

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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