Retour à la nature avec Camille Polier Giacobino
Alors qu’elle présentera son nouveau projet, Salvaje, du 17 au 26 juin prochains au Théâtre Pitoeff, Camille Polier Giacobino a accepté de répondre aux questions de Fabien Imhof. Il sera question de retour à la nature, mais pas de théâtre politique, elle y tient !
La Pépinière : Camille Polier, Giacobino, bonjour et merci de me rencontrer aujourd’hui ! Votre nouveau projet s’intitule Salvaje. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Camille Polier Giacobino : Ce spectacle s’inscrit dans les résidences de Pitoeff. Quand l’occasion s’est présentée, je sortais de plusieurs gros projets (Roméo et Juliette, Les Hauts de Hurlevent…) et j’avais envie de quelque chose de plus intime. Le contexte de la résidence m’a conduit à me diriger vers quelque chose de contemporain et peu connu. Quand je suis tombée sur ce texte, ça a fait tilt ! Il est drôle et permet d’explorer différentes pistes. Il vient sans doute d’une écriture de plateau et est une véritable machine de jeu. L’histoire part d’une situation réelle et diverge petit à petit vers quelque chose de moins réaliste. J’aime cette idée de questionnement de la société par le biais de l’imaginaire et de l’humour. Je ne veux pas faire quelque chose de politique ou de trop réaliste, j’aime cette distance que crée l’imaginaire.
Pour Salvaje, je collaborerai avec trois comédiens dont le trio a immédiatement fonctionné, voire presque trop (rires !) ! Ils ont une approche du jeu très ludique, voire enfantine et propose beaucoup de choses. J’aime le côté improbable qu’ont amené leurs improvisations, desquelles j’ai gardé beaucoup de choses. J’ai également demandé l’aide de Marcela San Pedro, qui est chorégraphe. Comme il sera question d’une animalité subie, je ne voulais pas de la virtuosité de danseurs professionnels : c’est plutôt la maladresse qui m’intéresse, et j’avais donc besoin de cette aide pour que les comédiens comprennent comment bouger.
La Pépinière : Concrètement, de quoi parle le texte ? Quel est le pitch de l’histoire ?
Camille Polier Giacobino : D’abord, il faut que je précise que j’ai décalé le point de départ de l’histoire, pour qu’elle se passe dans vingt ou trente ans, ce qui me permet d’expérimenter de nouvelles choses. Le spectacle met en scène un groupe de gens friqués, très snobs, qui décident de faire un bain de nature, alors qu’ils n’ont jamais connu ce qu’était la forêt et ne connaissent rien de la nature. La société dans laquelle ils évoluent a enlevé toutes les possibilités de problèmes : il n’y a plus de genre, tout le monde est bleu, tout est devenu très lisse en somme. Ce groupe de personnes se rend donc dans un gîte hyper design, mais qui devient très vite poreux aux sons et aux odeurs. Pour eux, habitués à un monde aseptisé, c’est complètement anormal. On se demande alors si l’arrivée du sauvage est réel ou seulement dans leur tête. C’est donc la peur, l’anxiété, voire un désir un peu animal qui les anime, et leur comportement « civilisé » se disloque. Leurs tares ressortent et le sauvage surgit en eux. Ils deviennent petit à petit des êtres hybrides et leur animalité ressort.
La Pépinière : Vous parlez, dans le dossier de presse, de continuité par rapport à vos précédents projets. Sur quels points en particulier ?
Camille Polier Giacobino : Dans ma recherche, je m’intéresse beaucoup aux événements incontrôlés, voire irrationnels. C’est très présent dans le spectacle, où les personnages doivent accepter d’être habités par quelque chose qui les dépasse. Et je pense que ça ferait du bien à l’humanité de respirer par ce biais… Plus le temps passe, plus j’ai un amour profond pour la nature qui propose de la beauté, contrairement à l’humain, qui se montre de plus en plus vulgaire. Ça fait longtemps qu’on n’a pas eu de Mozart ou de Shakespeare, capables d’inspirer et de sublimer le monde. Je ne veux pas donner de leçons, mais simplement montrer à quel point on est petits face à la nature. Ce spectacle est donc un appel à la liberté, avec une fin pas écrite, que j’ai choisie positive de mon côté, mais qui reste ouverte à tous les possibles…
La Pépinière : Dans le dossier de presse, une expression revient beaucoup et m’a marqué. Il est question d’ « ancien temps ». Quel est le lien entre cela et le retour à la nature ?
Camille Polier Giacobino : Au début du projet, je ne savais pas sur quels animaux j’allais me baser. On est d’abord parti sur des animaux de la forêt, comme des cerfs, voire des loups, mais plutôt quelque chose avec des cornes. Puis au niveau sonore, rapidement est apparu un retour en arrière très lointain, jusqu’aux tyrannosaures. C’était assez subliminal, mais ça s’est imposé à nous, comme une menace encore moins maîtrisable. Donc il y a d’abord cette part d’ancien temps qui remonte à un passé très lointain.
Et puis, je suis née à une époque où on pouvait encore faire du camping sauvage, il n’y avait pas de plastique sur les plages, on avait un accès facile à la nature… et j’ai une certaine nostalgie de cette époque immaculée où la confiance régnait. C’est donc aussi au temps de l’enfance auquel je fais allusion ici, avec le côté « conte » de cette histoire.
La Pépinière : Vous définissez Salvaje comme un « thriller théâtral », mais de quoi s’agit-il ?
Camille Polier Giacobino : C’est l’écriture du texte qui veut cela. Il se développe comme un polar, avec beaucoup de tension, de danger et de suspense. On se demande tout le long ce qui va arriver, si quelqu’un va mourir, comment, etc. Donc, c’est plein de suspense, ça fait écho à l’actualité et c’est rempli d’humour ! C’est un mélange vraiment vivant. Le côté farfelu de l’histoire permet aussi un décalage par rapport à la réalité. Ce n’est pas désignatif, et ça ne m’intéresse pas d’en faire. J’aime qu’on puisse rire de l’affreux.
La Pépinière : Enfin, la question piège que j’aime poser : pourquoi faut-il absolument venir voir ce spectacle ?
Camille Polier Giacobino : D’abord, parce qu’un spectacle est fait pour être vu, on le monte pour les gens ! Je pense qu’il a les qualités qu’il faut pour l’époque qu’on vit, dans un monde dramatique. J’ai envie qu’on puisse rire de choses sérieuses ou graves qui sont là et existent, malgré la peur de l’avenir. Je crois à cette « écologie positive » : c’est un spectacle qui n’est pas moralisateur, mais plein de vitalité et de joie. En plus de ça, il est très coloré et frais, les acteurs sont super, c’est plein de fantaisie, avec un regard très ludique.
C’est aussi un spectacle qui sort vraiment de l’ordinaire (des êtres bleus, un univers aseptisé et plastique où toutes les différences sont gommées…). Je pense que c’est un bon contrepoint aux spectacles plus graves et politiques. Ils sont aussi nécessaires, mais je pense qu’il faut de tout pour parvenir à un équilibre.
La Pépinière : Camille Polier Giacobino, un immense merci ! On se réjouit de découvrir votre travail !
Propos recueillis par Fabien Imhof
Photos : © Isabelle Meister