Les réverbères : arts vivants

Retour au « theatrum mundi » à la Comédie

Dans le cadre de La Bâtie, Natacha Koutchoumov, co-directrice de la Comédie de Genève, met en scène un diptyque autour de Shakespeare, librement inspiré du Songe d’une nuit d’été et de Hamlet. Comme un jeu de miroirs entre les deux spectacles, mais aussi avec nos visions du monde.

Dans ces deux spectacles d’une heure qui se répondent, Natacha Koutchoumov se sert de deux grands classiques pour montrer l’envers du décor, ce qui se passe avant ou après la représentation, sur fond de films d’horreur et autres séries Z. Et si les deux commencent comme des comédies, la tragédie n’est jamais très loin…

Un casting qui tourne mal

Summer break avait été créé il y a quelques années au Théâtre du Loup. Deux comédiennes (Charlotte Dumartheray et Géraldine Dupla) et deux comédiens (Jérôme Denis et Arnaud Huguenin) y passent un casting pour le Songe d’une nuit d’été. Rapidement, alors qu’iels exercent quelques scènes, on ne sait plus très bien si on assiste à des extraits du spectacle ou toujours au casting. S’agit-il du quatuor amoureux de la pièce de Shakespeare ou des relations entre les comédien·ne·s ? Cette indécision permet de revenir à une valeur chère au dramaturge : le theatrum mundi. Comprenez par-là que le monde est un théâtre. Et si le monde devient théâtre, l’inverse est vrai aussi. C’est dans cette ambiance qu’évoluent les comédien·ne·s de Summer break.

Derrière les trois vitres disposées sur la scène, on a un sentiment de distance, accentué par l’utilisation des micros. Le quatrième mur est donc bien, là, représenté matériellement. Comme les directeur·trice·s du casting, nous assistons, sans intervenir, à l’audition des comédien·ne·s. À travers leurs essais, on perçoit leurs fêlures et les questionnements auxquels on ne pense pas toujours : leur taille correspond-elle au rôle et à leur compagnon de jeu ? Sont-iels capables de changer de registre et de proposer un rôle inhabituel pour eux / elles ? Les relations jouées ne deviendront-elles pas réelles, en fin de compte, et quels problèmes cela causera-t-il ? Toutes ces questions donnent lieu à un drôle de songe, après que Charlotte – enceinte au moment du casting – se soit évanouie suite à une scène particulièrement difficile à interpréter. Se mêlent alors des passages du Songe de Shakespeare et des moments de casting, donnant une dimension nouvelle aux effets provoqués par cette pièce. Et alors qu’elle est souvent définie comme une comédie, Natacha Koutchoumov nous en propose ici une autre lecture, plus tragique. À travers les brefs extraits, on comprend la globalité de l’histoire et l’essentiel, à savoir les effets de la forêt dans laquelle évoluent les protagonistes, entre peur et désir. Et lorsque les acteur·trice·s passent de l’autre côté des vitres, on aperçoit alors leur reflet, comme une métaphore de ce qu’on nous montre dans ce spectacle. Une manière de nous rappeler que le théâtre est aussi magique et qu’il peut parfois avoir de drôle d’effets, sur le public comme sur les comédien·ne·s.

Un bord de scène en compagnie des fantômes

Après une pause d’une demi-heure, voici le temps d’assister à Après Hamlet, avec les mêmes comédien·ne·s. Tout commence comme un bord de scène, après le spectacle. Le metteur en scène fictif (Arnaud Huguenin) et ses trois comédien·ne·s répondent aux questions du public et expliquent leur façon de travailler, leur vision du théâtre et de la pièce, comment iels se sont préparé·e·s pour ce spectacle… Puis, comme les fantômes d’Hamlet, ceux du passé de chacun reviennent, et certaines scènes de la pièce auxquelles on assiste prennent un tout autre sens.

Comme dans Summer break, la frontière entre théâtre et réalité s’amenuise pour devenir de plus en plus floue. On pourrait parler de métathéâtre, tant le spectacle agit comme une catharsis pour le metteur en scène fictif. Parlant de la scène durant laquelle Hamlet met en scène La mort de Gonzague pour tenter de confondre son oncle, le metteur en scène fictif agit de la même manière envers son père en mettant en scène Hamlet. Le décor est composé de deux immenses rideaux, sur lesquels est imprimée une photo d’un repas de famille, image de la famille parfaite. Durant ce repas, le père dudit metteur en scène aurait mal agi envers la petite amie de ce dernier, qu’il aimait profondément. Le côté malsain d’Hamlet envers Ophélie et la forte présence d’allusions sexuelles appuyées deviennent ainsi un reflet de cette situation vécue par le metteur en scène. Si bien que sur la scène, il remplace le comédien qui jouait Hamlet… De la même manière, il reprend, au mot près, les conseils donnés par Hamlet à ses comédiens lorsqu’il leur indique comment jouer. On ne pouvait guère faire reflet plus fidèle.

La musique angoissante qui tapisse tout le spectacle, couplée à la lumière sombre qui éclaire le plateau, crée là aussi une ambiance qui n’est pas sans rappeler celle des films d’horreur. Comme dans la première pièce, le spectacle mis en scène agit comme un miroir du monde, et l’on ne sait plus trop si le monde devient théâtre ou l’inverse. Sans doute un peu des deux, comme pour nous mettre en face de notre propre noirceur, des non-dits et autres souvenirs qui nous hantent tels des fantômes.

De deux manières complètement différentes, Natacha Koutchoumov et sa troupe parviennent ainsi à nous ramener au theatrum mundi prôné par Shakespeare lui-même, pour questionner le théâtre, mais aussi le public, avec un rire souvent grinçant. Flirtant entre le comique et le tragique, le réel et le fictif, le théâtre classique et le contemporain, elle joue avec les frontières pour créer une ambiance angoissante qui sied parfaitement à son diptyque. Quant à savoir si on répond aux interrogations, chacun·e aura sa propre idée. Mais c’est, aussi, ce que nous rappellent Summer break et Après Hamlet : tout est question d’interprétation…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Summer break et Après Hamlet, de Natacha Koutchoumov (avec la participation des actrices et acteurs), d’après les pièces de Shakespeare, du 8 au 18 septembre 2021 à la Comédie de Genève.

Mise en scène : Natacha Koutchoumov

Avec Jérôme Denis, Charlotte Dumartheray, Géraldine Dupla et Arnaud Huguenin

https://www.comedie.ch/fr/programme/spectacles/summer-break

https://www.comedie.ch/fr/programme/spectacles/apres-hamlet

Photos : © Magali Dougados

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *