Retourner à la frontière, au temps du mythe
À la tombée de la nuit, partez à la rencontre des mondes, entre une femme et un ours, à la frontière entre nature et civilisation. Miedka, c’est le nouveau spectacle de la Cie Zanco, qui déambulera dans les parcs genevois dès le 20 août, après une première au parc de la mairie de Vernier.
Miedka se présente comme un spectacle itinérant et déambulatoire. Dans le parc choisi, différents lieux correspondent à autant de scènes dans lesquelles nous mène la narratrice (Maud Farrugia), accompagnée de deux danseuses-marionnettistes (Lola Kervroëdan et Karin Rose). Le récit s’inspire de celui de l’anthropologue Nastassja Martin, partie au Kamtchatka, à la rencontre du peuple des Évènes, qui vit de chasse, pêche et cueillette. Miedka désigne une femme-ours, celle qu’est devenue la narratrice de cette histoire. Dans le Grand Nord russe, elle vit ainsi dans cette zone-frontière, cet entre-deux entre la civilisation et la nature, réapprenant à communiquer avec les deux milieux, pour recréer le lien…
Repenser le monde
À l’heure des crises mondiales, qu’elles soient sanitaires, climatiques ou belliqueuses, Miedka pose de nombreuses questions sur notre monde. Et si un blackout survenait ? Si on perdait toute connexion, toute alimentation électrique ? Il nous faudrait bien réapprendre à vivre autrement, à la manière des Évènes… Pour illustrer ce questionnement, le texte de Yuval Dishon nous plonge dans un monde onirique, évoquant le temps du mythe. Ce temps où le monde n’existait pas encore tel qu’il est, ce temps qui rejoint celui de la création, à la frontière de tous les possibles. Un temps avant le langage, où tout le monde pouvait communiquer : humains, animaux, plantes… En cloisonnant nos univers, nous avons perdu cette capacité de communication, et avec elle une certaine forme d’empathie. Miedka désigne cet entre-deux : il est le nom donné par les Évènes à Nastassja Martin et ainsi à la narratrice de cette histoire, la femme-ourse. Elle symbolise cet entre-deux, cette zone de frontière, où la communication entre les mondes serait possible : elle reste celle qu’elle est tout en devenant une autre, capable de se mettre à la place de cet être différent.
Cette symbolique questionne notre rapport au monde. S’il n’y a rien de révolutionnaire dans le propos du spectacle, c’est l’approche qui surprend et suscite l’intérêt. Le propos s’inspire ainsi d’un peuple qui n’est pas occidental, qui vit en harmonie avec la nature, et pourrait bien disparaître à cause des actions humaines, si les produits utilisés pour l’extraction de nickel dans la région venaient à briser la résistance de la Toundra. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, car cette réalité peut s’appliquer à d’autres régions du monde. Miedka nous invite ainsi à nous mettre à la place de ce peuple, victime indirecte des actions d’autres peuples, et qui pourtant aurait beaucoup à nous apprendre…
Une mise en scène onirique
Dans Miedka, il est beaucoup question de rêve. La narratrice évoque notamment son apprentissage. Il n’y a plus de chamane depuis longtemps dans le peuple des Évènes, alors ils doivent réapprendre à rêver et surtout à interpréter et apprivoiser leurs rêves. Ce qu’on nous invite aussi à faire au quotidien… Pour illustrer cette thématique, la mise en scène crée une ambiance propice à l’onirisme. La tombée de la nuit y contribue énormément, avec ce milieu dans lequel on ne voit pas tout, où le moindre bruit prend une toute autre ampleur, où l’on est un peu plus aux aguets… Surtout, la présence de la musique nous envoûte, comme pour nous emmener dans un autre monde, alors que la danse – l’arrivée des trois protagonistes dans la première scène est particulièrement équivoque – rappelle, en mouvement, le lien avec la nature, avec des mouvements de plus en plus animaux, des attitudes rappelant bien sûr l’ours, mais aussi d’autres bêtes sauvages, passant de la bipédie à la quadrupédie… Et puis, il y a cette marionnette, en forme d’ours, qui semble grandir au fil du spectacle, marquant de plus en plus sa présence, comme si l’ours s’emparait de plus en plus de l’humanité de la femme, et inversement, les deux mondes se nourrissant…
Miedka, c’est une invitation au rêve, mais aussi à la réflexion, sur notre monde, sur cette période de crises, sur nos agissements et surtout, sur notre manière d’appréhender l’avenir.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Miedka, de la Cie Zanco, les 15 et 16 juillet 2022 dans le parc de la Mairie de Vernier, puis dans d’autres parcs genevois dès le 20 août.
Mise en scène : Yuval Dishon
Avec Lola Kervroëdan, Maud Farrugia et Karin Rose
Photo : © Cie Zanco