« Retrouver nos jeux d’enfants »
[Article paru initialement dans Le Chênois]
L’entretien se déroule sur une terrasse, mais la voix claire et posée d’Anne Probst ne rencontre aucun obstacle. La comédienne nous parle de son rapport au(x) jeu(x) et de son premier seule-en-scène, à découvrir du 9 au 18 mai, au Théâtricul.
La Pépinière : Anne Probst bonjour. Pourriez-vous vous présenter, en quelques mots ?
Anne Probst : J’ai 24 ans, et il y a deux ans, j’ai terminé le cursus préprofessionnel d’art dramatique du Conservatoire. J’y ai eu beaucoup de plaisir et y ai beaucoup appris. Par la suite, je n’ai pas été prise dans une haute école de théâtre, mais ce n’est pas grave car je voulais travailler sur le tas. Avec des amis de ma volée, on a donc monté une compagnie, et on est parti au festival d’Avignon jouer un cabaret. Après ça, j’avais très envie de créer quelque chose par moi-même, sans attendre que les propositions viennent de l’extérieur – ce qui, à ce stade de ma carrière, a peu de chances d’arriver. J’ai toujours baigné dans le milieu du théâtre, mes parents sont comédiens également, et c’est un univers qui m’attire depuis l’enfance.
La Pépinière : De quoi parle votre spectacle, Petite ?
Anne Probst : Petite est issu d’un parcours libre réalisé au Conservatoire. J’étais en dernière année, et tenais à aborder un sujet qui me touchait. Et c’est une semaine avant, sous la douche, que j’ai eu l’idée ! Je me suis demandé comment j’avais commencé à faire du théâtre, même sans m’en rendre compte. Et je me suis revue petite, en train de jouer aux Barbies dans le salon. Pour moi, les Barbies, c’était vraiment tout un univers ; j’y ai joué de mes quatre à mes quatorze ans. Je passais des journées entières à inventer leurs histoires et à raconter leurs aventures. Elles n’étaient pas de simples jouets, c’étaient de vraies comédiennes que moi, la réalisatrice, je dirigeais.
Dans mon parcours libre, j’ai voulu aborder le moment où j’ai arrêté de jouer aux Barbies. Avec l’adolescence, j’éprouvais de la honte d’y jouer encore et de ne pas grandir. Et puis, il y a un moment donné où l’imagination de l’enfance s’en va, et on constate que lorsqu’on joue, ça ne marche plus, on n’y croit plus. J’ai donc incarné cette phase où je n’arrivais plus à créer ce dont j’avais envie, si bien que j’entretenais un rapport conflictuel avec mes Barbies. Suite à mon passage, une de mes profs, Mariama Sylla, m’a dit que ça donnait envie d’en découvrir davantage. Je l’ai prise au mot, et j’ai écrit tout un spectacle !
La Pépinière : Comment avez-vous travaillé à la conception de ce seule-en-scène ?
Anne Probst : Je me suis replongée dans des photos et vidéos de moi petite, jouant aux Barbies, et j’ai aussi ressorti quelques vieilles Barbies. Mais même si je pars d’éléments de ma vie, sur scène j’incarne un personnage qui n’est pas moi, de ses huit à ses quatorze ans.
Et puis, avec Mariama Sylla, on a réalisé des improvisations qu’elle a filmées et à partir desquelles j’ai pu écrire. Cela me permet d’écrire des scènes à la fois concrètes et spontanées. Je me réserve aussi de la place pour l’improvisation, comme les enfants qui, eux, n’écrivent pas, ne répètent pas leurs jeux.
La Pépinière : Vous jouez et dirigez Petite, mais avez souhaité vous entourer d’autres professionnelles…
Anne Probst : Mariama Sylla m’a encouragée à réaliser la mise en scène, et elle a pour sa part endossé le rôle d’une spectatrice exigeante, qui s’attend à voir un spectacle abouti. C’est enrichissant de bénéficier d’un regard extérieur, ça apporte de la perspective et de la matière.
Stéphane Charrier, qui s’occupe de la création lumière, m’a aussi beaucoup inspirée. Il m’a donné des idées pour l’éclairage, qui ont fait ricochet. Je trouve super comme les métiers « de l’ombre » peuvent contribuer à étoffer l’écriture.
C’est le cas également d’Hélène Farine, avec qui on a conçu la scénographie. On est partie de l’idée d’une tente, celle que les enfants construisent dans le salon avec des draps. J’aimerais que le public soit dans cette tente avec moi, et qu’il y ait une intimité qui se crée entre nous, en retrouvant nos jeux d’enfants tous ensemble.
La Pépinière : Vous souhaitez que le public soit un personnage à part entière ?
Anne Probst : Oui, j’aimerais lui adresser des choses, le prendre à parti. Le public sait très bien que je ne suis plus une enfant, mais le but est qu’il se laisse prendre au jeu – et c’est là toute la beauté du théâtre, finalement : qu’on croie à ce qu’on veut nous montrer, qu’on imagine ensemble…
La Pépinière : Pourtant, dans la dernière partie de la pièce, une césure s’opère : le quatrième mur s’installe et vous n’êtes plus en interaction directe avec le public…
Anne Probst : Lorsque dans le spectacle, je suis enfant et préadolescente, je prends le public pour le fantasme que j’en avais, au même âge : je veux croire que ce sont les spectateurs de mon film, j’éprouve de l’orgueil à l’idée que ce que je crée est vu. Mais quand mon personnage entre dans l’adolescence, c’est comme s’il n’y avait plus de public, parce que je sais très bien que personne n’est dans le salon avec moi. Mon imagination ne me permet plus de faire exister le public, j’affronte seule les questions que je me pose, comme si j’étais face à un miroir.
La Pépinière : À qui s’adresse Petite ?
Anne Probst : La pièce s’adresse à tout le monde, pas seulement aux personnes qui ont joué aux Barbies. Enfants, on a tous créé d’autres univers, avec d’autres jouets ou simplement avec notre imagination, donc tout le monde pourra s’identifier au personnage.
Et puis, c’est un hommage à l’enfant que j’ai été, que je suis peut-être encore un peu. J’adorerais pouvoir rejouer aux Barbies comme avant ; je fais des rêves dans lesquels j’y joue et ça marche – et quand je me réveille, je suis terriblement déçue. Je suis nostalgique de l’époque où je passais des après-midis entières à ne pas m’ennuyer et à faire plein de choses, avec comme médium mes Barbies et non mon téléphone. Je fais sûrement du théâtre pour pouvoir retrouver ça, cet élan créatif et cette capacité imaginative.
La Pépinière : Jouer au Théâtricul, cela représente quoi pour vous ?
Anne Probst : Le Théâtricul, c’est une petite salle, et j’aime la proximité avec le public qui en résulte : on voit les gens, on les regarde dans les yeux, il y a une vraie adresse. Et puis, l’équipe m’a fait confiance, et ça, c’est une chance inouïe.
Dans d’autres lieux, on laisse peu la place aux petites compagnies, on ne laisse pas les compagnies émergentes commencer à faire et à créer. Je nous souhaite, à moi et aux autres jeunes artistes, de réussir à réaliser nos projets, et qu’on nous fasse confiance.
Propos recueillis par Elise Gressot
Infos pratiques :
Petite, de et avec Anne Probst, du 9 au 18 mai 2025 Théâtricul.
Mise en scène : Anne Probst
Photos : DR