Rire de tout, même de la mort
Alors que la tournée de son spectacle Ad Vitam touche bientôt à sa fin, Alex Vizorek était de passage à Genève en préouverture du Festival du Rire. L’humoriste belge prend un malin plaisir à nous partager différentes conceptions de la mort, dans un spectacle riche et personnel à la fois.
Rares sont les humoristes qui débutent leur spectacle par des vers de Baudelaire. Il faut dire que l’inventeur du spleen n’est pas réputé pour être particulièrement drôle. Pourtant, c’est bien ainsi qu’Alex Vizorek ouvre son spectacle, en récitant « Le Mort joyeux ». Comme un symbole de son spectacle. Car l’humoriste a choisi une thématique forte pour ce deuxième spectacle : la mort. Et alors que le flyer annonçait 1h30 de spectacle, c’est finalement presque une heure de plus qui nous est proposée. Rassurez-vous : on ne voit pas le temps passer ! C’est qu’Alex Vizorek, après plus de 300 représentations, souhaite surtout s’amuser pour les dix dernières (il n’en reste d’ailleurs plus que huit après celle de Genève…). Alors il s’essaie à quelques improvisations, interagit avec le public, bien qu’il avoue lui-même ne pas exceller dans cet exercice, se permet quelques digressions… pour notre plus grand plaisir !
Un spectacle riche
Après Alex Vizorek est une œuvre d’art – n’y voyez aucune mégalomanie de sa part, c’est simplement le sujet du spectacle : l’art – l’humoriste belge est donc revenu avec un one-man-show sur une thématique inattendue : la mort. Proposer tout une soirée sur ce thème, et en rire, il fallait oser ! Pour ce faire, Alex Vizorek s’est documenté. Ad Vitam passe ainsi par différents aspects autour de la mort, à commencer par la vie. Car sans vie, pas de mort, c’est logique. Il nous propose donc un rapide cours de biologie sur la reproduction de certains animaux, nous plaçant face à nos paradoxes d’humains, seuls êtres sur cette planète à planifier consciemment le moment de la reproduction, si tant est qu’on veuille faire des enfants bien sûr.
Après le long, mais néanmoins hilarant et inattendu préambule, nous entrons dans le vif du sujet. La mort est angoissante pour certains, intrigante pour d’autres, alors que les plus croyant·e·s ne la craignent pas, étant convaincus que la vie après la mort sera encore plus belle. C’est ce qui fait aussi la beauté de ce thème : nous avons tou·te·s un rapport à la mort. Inexorablement, la fin arrivera un jour, c’est peut-être la seule chose qui relie tous les êtres sur cette planète. Alors, pour en parler, Alex Vizorek nous parle de philosophie, s’appuyant sur le Dasein de Heidegger, l’hédonisme d’Épicure, ou encore l’essentialisme d’Avicenne. Il tire d’ailleurs de ce dernier son leitmotiv : « Je préfère une vie courte avec de la largeur à une vie étroite avec de la longueur. » Comprenez qu’il faut profiter, car on ne sait pas combien de temps cela durera. Il intègre aussi quelques anecdotes tirées d’articles de presse, parle de ses expériences personnelles, évoque aussi la littérature et l’art. Bref, Ad Vitam prend appui sur différentes sources, sans pour autant devenir barbant. Alex Vizorek joue d’ailleurs là-dessus, en évoquant toutes les radios par lesquelles il est passé et les divers profils de public qui les suivent, qu’il s’agisse de France Inter, RTL ou encore Télématin. Il s’en amuse et permet à son spectacle, bien que très fourni en référence, d’être accessible à tou·te·s, demeurant particulièrement intelligent et fin sans devenir élitiste. Le public ne s’y trompe d’ailleurs pas en lui réservant une standing ovation bien méritée.
Rejouer avec ses propres codes et ceux du stand-up
Dans son premier spectacle – dont je n’ai personnellement vu que des extraits – Alex Vizorek jouait avec la projection de tableaux sur un écran disposé sur la scène. Cet élément, qui fait l’une des particularités de son humour, est repris dans ce spectacle. Un joli clin d’œil à Alex Vizorek est une œuvre d’art, mais aussi une manière de reprendre des codes qui avaient plu au public précédemment. L’une des dernières parties du spectacle reprend d’ailleurs quelques tableaux célèbre sur la mort, pour une analyse hilarante et décalée. Cette utilisation de l’écran lui permet de projeter non seulement des œuvres d’art, mais aussi les portraits des philosophes dont il parle, les articles de presse qu’il évoque, ou encore les photos des animaux pour le cours de biologie et des captures d’écran de site internet parlant, de manière plus ou moins douteuse, de réincarnation. En s’appuyant là-dessus, il modifie régulièrement le rythme de son spectacle, afin de ne pas perdre les spectateur·ice·s et de conserver un support visuel qui fonctionne à la perfection, les rires arrivant parfois dès la simple projection d’une image.
Ce qu’on apprécie enfin chez Alex Vizorek, c’est cette capacité à ne pas rester uniquement dans son texte. Alors même qu’il n’aime pas beaucoup les interactions avec le public, il choisit d’en jouer, comme cela se fait dans le stand-up, en n’hésitant pas à souligner le décalage entre certains passages du spectacle et la présence d’un adolescent de 13 ans dans la salle, ou en se moquant de ce monsieur qui a dû quitter la salle un moment pour un besoin urgent. Surtout, Alex Vizorek profite d’être face à un public suisse pour enchaîner les comparaisons avec sa Belgique natale et la France, où il joue le plus souvent. Se moquant du vin suisse, il souligne tout de même le plaisir qu’il a à ne pas devoir adapter sa manière de dire les nombres. Naviguant entre vannes et compliments, il se met le public dans la poche tout en n’oubliant pas d’en rire. On ajoutera enfin qu’il se moque de tout le monde pour, comme il le dit, se moquer de personne en fin de compte. Une belle manière d’envisager l’humour et de nous rappeler qu’on peut rire de tout, pour autant que cela soit bien fait. Et c’est le cas dans Ad Vitam !
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Ad Vitam, d’Alex Vizorek, le 9 janvier 2025 en préouverture du Festival du Rire de Genève, au Casino-Théâtre.
Mise en scène : Stéphanie Bataille
Avec Alex Vizorek
https://www.rire-geneve.ch/fr/archives
Photos : ©AlexVizorek