Théâtre innovant et participatif avec Les Enfants du Rhône
Nous inaugurons aujourd’hui un nouveau partenariat avec les Scènes du Grütli. Pour ce premier reportage, nous nous sommes rendus au Théâtre Les Halles de Sierre, à la rencontre du RGB Project, à deux jours de la première des Enfants du Rhône. Nous y avons rencontré Christophe Burgess, l’un des porteurs du projet, et avons pu assister au premier filage du spectacle.
Le RGB Project naît de la volonté de trois amis, Christophe Burgess, Emilien Rossier et Michael Goodchild, de créer ensemble, à travers des projets artistiques en immersion. Grâce aux talents de chacun, l’un dans le théâtre, le deuxième dans la production et le troisième dans les arts visuels, également dans la dimension production, ils conçoivent Brainwaves. Ce premier projet, incluant de la réalité virtuelle, s’avère rapidement trop cher pour être pérennisé. Après le Covid, le collectif a souhaité recentrer ses choix et se rapprocher d’un théâtre plus écrit. Pour Les Enfants du Rhône, ils sont ainsi accompagnés de l’autrice Ed Wige, qui signe le texte à partir de différentes propositions. Ce projet se présente comme une œuvre de science-fiction, avec une dimension immersive, s’inscrivant dans ce qu’on nomme les nouveaux récits, avec un futur désirable. Plutôt que de proposer leur propre utopie – qui serait une dystopie pour d’autres nous confie Christophe – le spectacle se veut plutôt topique, centré autour d’un lieu, en l’occurrence le Rhône. Grâce aux bourses qui leur ont été accordées, ils ont eu le temps de réfléchir, avec cette question centrale : où veut-on vivre dans un futur plus ou moins éloigné ? Quand Christophe évoque ce futur désirable, il se questionne aussi sur les actions et moyens à mettre en œuvre dès aujourd’hui pour y parvenir. Dans la conception du projet, chaque comédien·ne a donc créé son personnage comme iel le souhaitait, puis Ed Wige s’en est emparée pour construire un texte autour de cela.
Dans 100 ans
Les Enfants du Rhône, c’est donc l’histoire de trois communautés, nommées bras, en 2112. Chacun des bras vit à sa manière, selon ses valeurs et ses moyens. À la manière d’un récit grec, mais en version moderne, le texte raconte une forme d’épopée autour de ces trois communautés. Ed Wige a créé cette histoire, et la troupe est installée depuis cinq semaines au TLH pour travailler et décider collectivement de la forme finale que prendra le spectacle. Au départ, l’intention du RGB Project était d’utiliser l’IA, en travaillant avec l’Idiap, un institut de recherche à Martigny. Mais l’arrivée de Chat GPT, au moment du lancement du projet, a tout chamboulé. Un spectacle se créant sur un temps long, le risque était de ne jamais être à jour, et surtout, le trio ne voulait pas dépendre d’un outil basé à la Silicon Valley. Cette idée correspond d’ailleurs aux valeurs véhiculées dans le spectacle. En collaboration avec la Haute École d’Arts de Zurich, ils ont cherché à créer une machine électronique biopunk, une sorte d’ordinateur qui fonctionnerait avec des champignons et serait un nouveau personnage du spectacle. Toutefois, cela s’avère compliqué techniquement, et ils en sont revenus à l’idée de simuler cet aspect. De même la scénographie devait être entièrement constituée de champignons, qui n’en formeront finalement qu’une partie, au vu des incertitudes que cela comporte sur leur évolution et les effets sur les comédien·ne·s. Derrière cette idée, il y a la volonté de proposer quelque chose d’organique, même dans la scénographie, de manière à faire aussi ce qui est raconté, en cohérence avec le projet.
Participation douce
Dans sa démarche, le RGB Project, dont les membres sont très friands de jeux vidéo et de jeux de rôle, cherche à apporter une dimension participative qui manque, selon eux, au théâtre. Christophe nous rassure immédiatement, il s’agira d’une « participation douce », c’est-à-dire qu’on peut le faire ou rester tranquillement assis à sa place. De manière plus large, la réflexion du collectif porte sur la manière de s’engager, ou non, en Suisse, avec cette volonté de ne plus être passif. Cela sous-tend aussi la question de comment attirer les jeunes au théâtre, une forme qui n’a que peu évolué, concurrencée pourtant par l’arrivée du cinéma, des réseaux sociaux, des possibilités de streaming… Sans forcément parler de « théâtre de demain », le collectif se questionne sur la manière d’apporter une plus-value au théâtre, en amenant plus d’échange, grâce à l’apport du vivant qu’on ne trouve nulle part ailleurs. D’où cette idée de créer d’autres types d’histoires, pour élargir la vision.
Avec la question du futur désirable se pose donc la question de ce qu’on doit faire maintenant pour y parvenir, comme nous l’évoquions. Pour ce faire, un bord de scène sera organisé après chaque représentation. Également, samedi 11 janvier, avant la représentation, une table ronde en présence de plusieurs expert·e·s se tiendra sur la question du statut juridique du Rhône. Cela se fait déjà ailleurs pour certains fleuves, mais en Europe, la législation est complexe, avec cette séparation entre la nature et ce qui relève des affaires humaines. Pourtant, un tel statut permettrait au Rhône de se défendre face aux modifications artificielles de son cours ou à la pollution… Dans le spectacle, d’ailleurs, le Rhône est l’entité centrale, et les trois bras se réunissent pour enterrer la dernière ancêtre, issue de notre génération, celle des enfants des années 90. Les nations se sont écroulées suite à la Guerre de l’eau, et les nouvelles communautés qui en découlent s’appuient sur une culture animiste. Comment faire alors pour ne pas en arriver là, ou du moins éviter un tel conflit dont on peut déjà voir les prémisses ailleurs ?
Création en collectif
Dans la création, chacun·e des quatre comédien·ne·s – Estelle Bridet, Lisa Courvallet, Cyprien Rausis et Djemi Pittet – a donc imaginé son personnage. Une manière de s’investir véritablement dans le spectacle et de se rapprocher encore plus de son rôle pour mieux l’incarner. Le rôle de Christophe, en tant que metteur en scène, a ensuite été de tout mettre ensemble pour former un tout cohérent, en lien aussi avec le texte imaginé par l’autrice. Le maître-mot de la création est sans doute la crédibilité : à travers les nombreux échanges qui jalonnent le parcours des Enfants du Rhône, il faut que le tout fonctionne, que l’histoire soit crédible et que tout entre en symbiose. Pour ce faire, Christophe échange énormément avec la scénographe Lucie Meyer, au fur et à mesure des évolutions. Dans cette optique, on essaie d’être au maximum dans l’action, en testant, en pratique, les gestuelles, les déplacements, le texte, le son (créé par Djamel Cencio), afin d’essayer, pour voir ce qui marche ou non. Même au niveau des costumes, les quatre comédien·ne·s ont beaucoup échangé avec Ana Carina Romero Astorga pour les concevoir. Elle a ensuite fait des propositions, avec des éléments et divers accessoires, qu’il a fallu tester pour que tout soit cohérent, que les communautés soient reconnaissables tout en restant crédibles.
Derrière toute cette démarche, il y a aussi cette idée que la science-fiction reste encore un genre méprisé au théâtre et en littérature, malgré son succès et les grand·e·s auteur·ice·s qui y ont contribué et y contribuent encore. Christophe évoque d’ailleurs de nouvelles créations venues d’Asie ou d’Afrique, qui proposent de nouveaux codes et une vision totalement différente, qui lui plaît beaucoup.
Un premier filage
Le soir où je me rends à Sierre pour y rencontrer Christophe et le reste de l’équipe, j’ai l’occasion d’assister à un premier filage. Les invité·e·s de cette soirée sont donc le premier public-test, nécessaire puisqu’il s’agira aussi de tester les interactions. Précisons ici qu’il reste encore deux jours avant la première au moment de ce filage, et que cela laisse le temps à tout le monde de travailler encore sur certains éléments du spectacle, notamment la fin, pas encore totalement décidée. Pour vous donner un avant-goût des Enfants du Rhône, sans trop en dévoiler, voici les quelques éléments que nous pouvons encore citer. Avant d’entrer dans la salle, un choix parmi trois propositions vous sera demandé, qui influencera la suite de votre parcours. Les héros·ïnes de l’histoire viendront ensuite à votre rencontre en fonction de ce choix. La scénographie se présente en tri-frontal, chaque gradin représentant l’un des bras de la communauté, chacun ayant ses spécificités et son rôle à jouer. Rassurez-vous, les trois bras sont plutôt en bons termes. L’ensemble forme donc la communauté du Rhône, symbolisée par l’arbre qui trône au centre de la scène de ce théâtre devenu « Terrâtre » après la Guerre de l’eau…
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Les Enfants du Rhône, par le RGB Project, du 9 au 19 janvier au Théâtre Les Halles de Sierre, puis du 24 janvier au 8 février aux Scènes du Grütli.
Conception et production : RGB Project
Mise en scène : Christophe Burgess
Ecriture : Ed Wige
Avec Estelle Bridet, Lisa Courvallet, Cyprien Rausis, Djemi Pittet
Costumes : Ana Carina Romero Astorga
Scénographie : Lucie Meyer
Musique et sound design : Djamel Cencio
Consultant IA : Michael Diatta
Game Design : Alain Borek
Production : Emilien Rossier, Michael Goodchild
Diffusion :Emilien Rossier, oh la la – performing arts production
Coproduction : Les Scènes du Grütli, Les Halles Sierre, Kleintheater Luzern
Partenaires de recherche : Kleintheater Luzern, Paulina Zybinkska, ZHDK, Dario Lanfranconi, Hochschule Luzern, Lonneke Van Der Plas, Daniel Carron (IDIAP)
Soutiens : Théâtre Pro, canton du Valais, Cineforom
Remerciements : Izabela Pluta (UNIL), Luc Schuiten, Hervé Bourlard (IDIAP), Palp Festival
https://www.theatre-leshalles.ch/spectacles/les-enfants-du-rhone—rgb-project
https://grutli.ch/spectacle/les-enfants-du-rhone
Photo : ©Héloïse Maret