Caméléon, quand l’impro devient duo (ou l’inverse)
Dans le cadre d’un partenariat, La Pépinière proposera, tout au long de la saison, des reportages autour des spectacles joués au Galpon. L’occasion de découvrir comment travaillent les différentes troupes. Aujourd’hui, avec la Cie József Trefeli nous rencontrons un drôle d’animal : Caméléon, qui investira les planches du 16 au 26 janvier.
Le caméléon, quelle étrange bestiole ! Ses mouvements lents, ses yeux toujours aux aguets – et surtout, sa capacité étonnante à changer rapidement de couleur. Pendant longtemps, on y a vu uniquement un mécanisme de camouflage, une manière de se fondre dans l’environnement pour mieux échapper à son ennemi. Les éthologues savent aujourd’hui que ces surprenantes transformations remplissent également un rôle de communication sociale : le caméléon parle avec autrui, communiquant grâce à la couleur ses émotions – teintes sombres pour l’attaque et la colère, claires pour la séduction. Le caméléon évite donc l’autre… ou échange avec lui, en fonction de ce que cet·te autre représente (menace ou partenaire possible).
Tâtonner le duo
La relation à l’autre est justement au cœur de cette création de la Cie József Trefeli. Il s’agit avant tout de réfléchir à la forme du duo – chorégraphié ou improvisé, mais, en tous les cas, vécu dans l’espace, la corporalité et la texture (du son comme de la lumière). Comment entre-t-on en interaction avec l’autre ? Faut-il se délaisser de sa peau pour endosser des écailles étrangères ? Ou, au contraire, conserver son propre langage tout en cherchant un terrain d’entente ? À moins que la solution soit d’inventer une voie nouvelle…
Voilà autour de quoi tâtonne la Cie József Trefeli lorsque je pousse la porte, en pleine répétition. Toute tendue de noire, la salle du Galpon est pour l’heure uniquement revêtue de quelques lumières – ici, une diagonale franche ; là, un éclairage avant-scène diffus… Aux manettes des spots, Claire Firmann cherche, elle aussi. Dans les rayons, dont elle habille le plateau, les corps des danseuses et danseurs évoluent, deux par deux. Iels sont cinq, tantôt dansant, tantôt observant depuis les gradins : Leif Firnhaber, Marthe Krummenacher, Madeleine Piguet Raykov, László Takács, József Trefeli. Au cours de la pièce, iels changeront de partenaires, mélangeant les genres pour dépasser la représentation hétéronormée, alternant moments chorégraphiés et moments improvisés. La musique d’Andrès Garcìa, pulsant par boucles entêtantes, les porte… tandis qu’installer sur une chaise, la costumière Aline Courvoisier fait son choix parmi un panel de vêtements chamarrés.
Formule du Caméléon : 1 + 1 = 2 ?
Difficile, pourtant, de trouver la formule parfaite qui doit conduire chaque duo. Dans le premier tableau auquel j’assiste, c’est l’improvisation qui est mise en valeur. Sans aucune musique, les yeux fermés, danseur et danseuse s’écoutent. Glissement d’une plante de pied au sol, froissement d’un tissu, expiration soudaine… choc sourd au moment d’un saut. S’écouter, sans se voir. Trouver la meilleure manière de bouger ensemble, de démarrer et de s’arrêter au même moment… en gardant les paupières closes. L’exercice tient du dialogue – avec son environnement (privée de musique, la salle prend une densité nouvelle, comme si l’atmosphère elle-même adoptait une autre épaisseur sonore), avec soi-même (il faut retenir le geste, ne pas s’abandonner égoïstement à ses propres impressions), mais surtout avec l’autre. Car c’est elle, ou lui, qui guide. Comme dans un drôle de colin-maillard, on se cherche… et, quand on ouvre les yeux à la fin de l’impro, on est parfois étonné·e de trouver le ou la partenaire si proche.
Tout n’est pas toujours fluide, comme en témoignent les fréquents échanges entre les membres de la troupe : attentifs à chacune et chacun, József Trefeli (direction chorégraphique) et Rudi van der Merwe (dramaturgie) débriefent longuement après chaque passage. Le deuxième duo, dansé sur un mambo aux tonalités jungle et futuristes, s’avère plus délicat à imaginer. L’improvisation est encore une fois reine… mais la formule peine ici à se mettre en place. Faut-il se toucher ? Rester à une vingtaine de centimètre de distance ? Adopter des rythmes différents – rapide et saccadé pour l’un, lent et contourné pour l’autre (comme un mouvement de mante religieuse) ? Comment utiliser la musique sans tomber dans la caricature (on ne veut pas faire une danse de séduction, ou une parodie de clubbing) ?… Autant de questions qui trouvent progressivement leurs réponses, dans une délicate recherche sur le plateau.
À n’en pas douter, Caméléon saura fixer ses formules pour nous étonner. En attendant la première, je quitte la salle sur la pointe des pieds – pour ne pas briser la ténuité tâtonnante de ces improvisations…
Magali Bossi
Infos pratiques :
Caméléon, de la Cie József Trefeli, au Théâtre du Galpon, du 16 au 26 janvier 2025.
Chorégraphie : József Trefeli
Dramaturgie : Rudi van der Merwe
Avec Leif Firnhaber, Marthe Krummenacher, Madeleine Piguet Raykov, László Takács, József Trefeli
https://galpon.ch/spectacle/cameleon
Photo : ©Magali Bossi