S’en sortir sans sortir : On va s’en sortir
Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !
La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !
Le confinement a été une période particulièrement stressante – mais étonnamment riche en inspiration. Autour de la question « comment s’en sortir sans sortir ? », Alicia Melis vous propose sa vision personnelle de la situation…
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S’en sortir sans sortir : On va sans sortir
Comment s’en sortir sans sortir ? Je dois avouer que cette question ne m’était pas venue à l’esprit avant d’avoir vu les Chinois confinés à Wuhan. Je trouvais cette solution un peu trop radicale et autoritaire, très pseudo-démocratique ; priver, comme ça, autant d’individus de leur liberté, quelle régression ! Oui, bien entendu, ces mesures ont été adoptées pour préserver la vie de milliers de personnes. Alors, là, le grand être humain attaqué par un parasite infiniment petit, tremble et se cache. Finalement, le petit parasite a fini par montrer que ce n’était pas la taille qui comptait…
Comment s’en sortir sans sortir ? Bon, ben, ça y est : après environ deux mois, notre tour est arrivé. Cette fois, la question se pose pour nous. L’avantage de vivre dans un pays très démocratique et consensuel comme la Suisse est que les politiciens prennent toujours une position concertée, faite de demi-mesures. La radicalité chez nous, on ne connait pas (sauf l’UDC). Nous sommes donc semi-confinés, condamnés à trouver des solutions pour s’en sortir sans trop sortir. En fait, la demi-mesure le permet, nous pouvons sortir : pour acheter des pâtes, du savon, du gel hydroalcoolique, des œufs et surtout du PQ, parce que, oui, ça c’est bon pour la santé (tout autant que le rire peut-être, il faudrait aller demander à Schneider Ammann, mais j’en doute). Le PQ, on le sait bien, nourrit, habille, décore, divertit, se conserve et puis, finalement, la gêne de se trimballer avec ses rouleaux de papier toilette ne se ressent qu’une fois pour quelques années. Malheureusement, près de chez moi, on ne trouve plus de papier – je hais donc les gens… Les gens sont idiots, ce n’est pas une pandémie de gastroentérite.
Comment s’en sortir sans sortir ? Après quelques semaines, beaucoup d’entre nous sont devenus très créatifs ; nous sommes bombardés de photos, vidéos, statuts, articles, infos, musiques, films, trailers, invitations au Skypero, Zoomero, Zoomteatime, Skypteatime, jeux en ligne, j’en passe et en oublie sûrement. D’autres sont déjà devenus fous, à cause de leur conjoint, colocs, frères, sœurs, parents, beaux-parents, enfants, voisin(e)s, chiens (?), chats (?) et/ou sont soudainement très sportifs, adorent aller faire les courses seuls, allez savoir pourquoi !? Les célibataires ou personnes vivant seules sont soit très heureux de ne pas devoir se « farcir » une autre compagnie, soit au contraire, en mal de contacts sociaux ou de contact tout court.
C’est une drôle de situation que nous vivons en cette période de pandémie, qui parait tout droit sortie d’un film/livre à scénario catastrophe. J’ai d’ailleurs lu un livre et vu un film qui sont peut-être instigateurs de ce mystérieux virus… à moins que tout ça ne soit une épreuve imaginée par ceux qui maitrisent « la matrice » pour voir comment nous réagissons en situation d’urgence… ou serait-ce un alien infecté, déguisé en pangolin, qui aurait décidé de se sacrifier pour la cause de ses semblables, afin de débarrasser la Terre de ses humains et de s’en approprier les territoires ? J’ai bien peur de ne pas sortir indemne de la pandémie de théories complotistes, si je reste encore longtemps sans sortir …
Non, non, tout va bien, après avoir bravé les foules (dont chaque individu, famille est séparé(e) de deux mètres, appelle-t-on encore ça une foule ? ) en allant faire les courses, après avoir participé à des cours en ligne, après avoir fait des apéros sur mon balcon avec mes voisins, eux aussi sur leurs propres balcons, après avoir enfin achevé ma quête de PQ, après avoir aussi communiqué avec mes amis par les réseaux sociaux, après m’être sentie coupable d’avoir fait des promenades à la campagne avec des amis (pas plus de cinq et on respecte la distance sociale), après m’être interrogée sur ce terme « distance sociale », après avoir peut-être eu le COVID-19 (on peut être asymptomatique, il paraît) et certainement la flemmingite aigue, après avoir pris beaucoup de repas seule, après avoir épuisé les sujets de conversations sur les apps et les exercices de yoga, enfin, après avoir beaucoup porté de trainings, j’espère que je ne finirai pas entubée… ah non, intubée.
Alors comment s’en sortir sans sortir ? Plusieurs solutions sont suggérées : se créer un planning, continuer à s’habiller et se préparer, faire du sport, manger équilibré, garder contact avec nos proches, lire, travailler, faire des choses qu’on avait remises au lendemain, ne pas regarder les nouvelles, aider ceux qui en ont besoin – vivre, quoi… De la même façon que si nous pouvions sortir, mais avec plus de calme (pardon à ceux qui vivent à plusieurs, je ne sais pas si ça vaut pour eux) et de temps. Il faut dire qu’il y a de bons côtés : par exemple, l’air qu’on respire est moins pollué, maintenant que nous vivons au ralenti et la nature est enfin laissée un peu tranquille ; et aussi peut-être, avec beaucoup d’optimisme, on verra une réflexion et un changement de notre système économique qui s’écroule face à un petit virus de moins de 0.3 micromètre.
Je ne sais pas si je vais m’en sortir sans sortir, mais je pense avoir de fortes chances d’y réussir. En espérant que la vie « normale » reprendra peu à peu son cours (dans pas trop longtemps quand même) et qu’on arrêtera le décompte des morts…
Alicia Melis
Ce texte est tiré de la volée 2019-2020, animée par Éléonore Devevey.
Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.
Photo : ©coyot
