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Sexe, drogue, rock’n’roll et… psychopathie !

« Ado, je rêvais d’être comme Kurt Cobain, le suicide en moins. Me voilà à l’âge de sa mort, vingt-sept ans, et je lui ressemble de plus en plus. Je n’ai pas encore envie de mourir, mais la déprime ne me lâche plus d’une semelle et s’ajoute à mon complet désœuvrement. » (p. 141-142)

Blackout entre dans la lumière. Le groupe de rock mené par le charismatique chanteur/guitariste Alex, avec Éric Jordan à la guitare, Nils Jansen à la basse et Leila Ndongo à la batterie, connaît des débuts tonitruants après sa remarquable performance lors du festival vaudois de la Venoge. Remarquable et remarquée. Aidé par son manager, Léo(nard) Steiner, le groupe va alors suivre une ascension fulgurante : un premier album dont les singles passent en boucle sur les radios romandes, une sélection à un festival hollandais pour jeunes artistes en devenir, le repérage d’une grande major (Warner) jusqu’au passage sur la scène des Arches (15’000 spectateurs) du Paléo festival de Nyon ! Or, comme le souligne la quatrième de couverture, « un grain de sable pourrait bien compromettre la réalisation de leur rêve… »

Histoire de coulisses

Backstage, le deuxième ouvrage de Pascal Parrone, débute comme un roman rock, classique et efficace : le chanteur porte un T-shirt de Nirvana, Freddie l’homme à tout faire est un ancien toxicomane, des extraits de chansons s’impriment sur les pages, les références musicales foisonnent tandis qu’Alex manque de violer une groupie ; bref, l’esprit est résolument « sexe, drogue et rock’n’roll » !

Avec son écriture simple, sobre et directe, l’auteur semble adapter en littérature et avec la même efficacité le fameux triptyque guitare-basse-batterie du rock. Davantage qu’un livre sur la trajectoire d’un jeune groupe romand, ce sont les backstages (coulisses) du milieu qui semblent l’intéresser tout d’abord, et nous aussi. Durant les 125 premières pages, Parrone décline donc ses runners (les chauffeurs bénévoles chargés de conduire les artistes où bon leur semble), le stress et l’adrénaline lors de l’entrée en scène, la drogue qui annihile la créativité du chanteur/compositeur… rien que de très normal pour un roman rock. Sauf que Backstage est davantage que cela.

Ce roman de Pascal Parrone est avant tout un livre de ruptures[1], qu’elles soient temporelles (avec des allers-retours entre 2018 et 2019), narratives (de la troisième à la première personne), voire déroutantes (avec l’arrivée en plein milieu de ‘’histoire principale de personnages pour le moins atypiques). Il y a là Robert Besson, qui vient de perdre son fils dans un accident de voiture et qui repense à celui qu’il a eu, jadis, dans lequel est morte la copine de sa petite amie ; Lisa Orwell, jeune Australienne qui a fui son île à cause d’un tueur en série ; Jean-François Nicoud, professeur de guitare pédophile ; Freddie et Alex. Parce qu’on les connaît, ces deux-là, on s’accroche à eux pour mieux appréhender cette curieuse histoire secondaire d’héritage qui nous éloigne de notre sujet. S’agit-il de pauses (pas très reposantes, vu les thèmes abordés), écrites comme un journal intime ou un témoignage face caméra, dont le sens échappe tout d’abord ? Peu importe, car cette histoire insérée, beaucoup plus dense émotionnellement parlant, à l’écriture resserrée, révélera une structure narrative plus riche et complexe que la simplicité initiale, à l’image de la musique de Blackout, pouvait laisser augurer.

« Je n’arrive pas à y croire, c’est fini… » (Nils, p. 131)

Le temps d’un petit suspens identitaire (qui est ce mystérieux Peter Winkler qui veut léguer sa fortune à cinq inconnus ?) et la seconde histoire devient prépondérante, tout en apportant une diversité bienvenue au récit. Dès lors, le climat change du tout au tout, passant de la chronique rock légère (et un rien superficielle) au drame psychologique. Backstage gagne alors en profondeur ce qu’il perd en spontanéité, car tout est calculé dans ce livre malsain, peuplé de violeurs, toxicos, pédophiles, victimes de tueur en série… Et la structure éclatée (avec ses récits parcellaires insérés à l’histoire principale du premier tiers du livre, qui trouvent leur explication dans la seconde moitié du roman) permettent à l’histoire de rebondir, et au lecteur d’être constamment surpris. Jusqu’au(x) twist(s) ultime(s) qui démontrent la maîtrise technique de Pascal Parrone.

C’est machiavélique et psychotique à souhait, mais on en redemande !

Bertrand Durovray

Référence :

Pascal Parrone, Backstage, éditions Slatkine. 2021. 324 pages.

Photos : © Bertrand Durovray

[1] L’auteur fait des voyages dans la temporalité du livre, mais également dans sa propre bibliographie. Ainsi, le tueur en série évoqué lors du chapitre 7 renvoie à Outback, le précédent livre de Parrone, paru en 2015. De même, Lisa Orwell, personnage secondaire ici, était déjà présente dans ce premier roman.

Bertrand Durovray

Diplômé en Journalisme et en Littérature moderne et comparée, il a occupé différents postes à responsabilités dans des médias transfrontaliers. Amoureux éperdu de culture (littérature, cinéma, musique), il entend partager ses passions et ses aversions avec les lecteurs de La Pépinière.

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