Shakespeare, sa bio sur scène
Ce mercredi 10 juin, je me suis rendue au Pulloff Théâtres à Lausanne pour assister à la pièce Être Shakespeare de Jonathan Bates, un événement que j’attendais depuis des mois, qui retrace de bout en bout l’existence de ce monument littéraire.
Pour se rendre au Pulloff Théâtres, il faut cheminer une voie très arpentée nommée à juste titre « chemin du Calvaire ». Ne connaissant pas du tout cette partie « cachée » de Lausanne, je me suis rendue dans cette ville poudrée comme une marquise, vêtue d’une robe noire et chaussée de talons hauts. En découvrant la longue pente qui menait au théâtre, j’ai tremblé comme un marin pris en étau dans une tempête en mer prêt à se faire bouffer par la première vague venue. Ce premier paragraphe est une mise en garde à tout Genevois passant pour la première fois au Pulloff. Un conseil : prévoyez de bonnes baskets ! Vous devinerez facilement dans quel état se trouvait la soussignée quand elle a pris place sur son siège.
Revenons à la pièce à présent. En lisant l’affiche, qui présente cette œuvre comme le fruit du travail d’un des plus éminents universitaires d’Oxford (Jonathan Bates), on comprend que ce Shakespeare est un Shakespeare conté, pas joué… et ici, cela compte beaucoup.
Durant cette aventure à travers le temps, c’est Geoffrey Dyson qui nous servira de guide et de commentateur. Traducteur, metteur en scène et directeur du Théâtre Claque, l’Anglo-Suisse nous conte avec son délicieux accent « british » l’histoire du plus grand dramaturge de tous les temps. Une entreprise ambitieuse qui nous mène jusqu’à l’Angleterre élisabéthaine. Nous suivons ainsi Shakespeare depuis le berceau, chaque période de sa vie étant entrecoupée par catégorie sur un carton que le comédien placera durant la pièce sur un tableau.
Le décor, lui, est sobre, minimaliste. Une modeste table de travail blanc style Ikea, un siège blanc aux formes épurées aux dimensions d’un trône, et quelques éléments de travail épars sur la table, dont une gourde dans laquelle notre narrateur s’abreuvera ponctuellement.
La mise en scène est signée Raphaël Vachoux, un artiste pluridisciplinaire né en 1991, qui multiplie les casquettes entre musicien, chroniqueur, auteur, interprète et ce soir au Pulloff… metteur en scène.
Ces différents talents ont permis (en collaboration avec d’autres) la mise sur pieds d’une monographie contée, qui achève de contextualiser l’environnement dans lequel Shakespeare s’est immergé pour conter ces histoires. Ces histoires, plus que de faire partie du patrimoine littéraire mondial, sont un socle de la culture occidentale. Il s’avère que Shakespeare est un homme assez « commun », sans grande épopée personnelle à conter. Il est né à Stratford en 1564, après une terrible période de peste noire. Fils d’un père huissier, il a initié son parcours scolaire à la grammar school, dont l’essentiel de l’enseignement à l’époque se résumait en l’apprentissage de la grammaire latine, qui devait préparer les élèves à l’art de la rhétorique. Comme beaucoup de fils aînés, il aidait dans le commerce familial (ici, celui de gants). Plus qu’un homme commun, c’est un homme de mystère. En effet, on s’étonne de perdre sa trace à un moment de sa jeunesse, pour le voir réapparaître en soubresaut à la fin de sa vingtaine. Personne ne sait comment combler ce trou biographique, et ce ne sera pas le dernier.
La pièce nous permet d’entrer dans la vie privée du Barde, entre sa famille, ses amis, ses ennemis, son travail et ses ambitions, qui sont autant de clés de voûte pour mieux ancrer l’œuvre dans l’homme. Pour ceux qui ne le savent pas encore, Hamlet est nommé ainsi d’après le fils de Shakespeare, à qui voulait lui rendre hommage à travers sa célèbre pièce.
Je dois avouer que la pièce n’était pas du tout ce à quoi je m’attendais. Être Shakespeare aurait été pour moi l’occasion rêvée d’exprimer sur scène avec extravagance toute la singularité de l’homme de théâtre en tant que créateur et personnage de sa propre vie, aussi normée eût-elle été, car après tout, au théâtre, on peut tout se permettre, non ?
Ici, si le comédien est certes expressif, il ressort néanmoins de manière excessive dans son jeu une forte connotation éducative, qui efface pour moi l’acteur au profit du prof d’histoire littéraire de fac ou lycée. C’est un style. Qui semble avoir trouvé ses adhérents au Pulloff – la salle semblait ravie.
L’auteur n’a pas manqué à son devoir en nous lisant des fragments de l’œuvre de ce monstre de la littérature anglaise, que ce soient les Sonnets ou bien encore quelques lignes de ses pièces les plus épiques (mais ne le sont-elles pas toutes ?), telles que Roméo et Juliette, Jules César ou Macbeth.
Shakespeare est à la base « juste » un bonhomme qui cherchait un boulot rentable à Londres, ville cosmopolite dans laquelle il espérait se refaire une vie. C’est tombé sur le théâtre, nouvel art à l’époque avec ses theaters flambants neufs et ses places à un penny. Il est avec Molière, l’un des plus grands mystères de l’histoire du théâtre, mystère qui a participé à leur mythe, et peut-être vaut-il mieux ne pas dévoiler trop de leurs étoffes pour ne garder d’eux que leurs œuvres, qui constituent l’essentiel de leur grand destin.
Apolonia M.-E
Infos pratiques :
Être Shakespeare, d’après un texte de Jonathan Bate, du 10 au 27 juin 2025 au Pulloff Théâtre
Mise en scène : Raphaël Vachoux
Avec Geoffrey Dyson
https://www.pulloff.ch/etre-shakespeare/
Photos : © Marija Mitrusic