De l’amour pour la dernière de Claude Ratzé
« La seule boîte qui s’ouvre de l’intérieur ». Le concept de l’affiche de cette année se veut décalé et plein d’humour, pour la dernière de Claude Ratzé à la tête de La Bâtie. Accompagné de Prisca Harsch et Matthieu Baumann, ils et elle ont présenté le programme de cette 49ème édition, qui se tiendra du 28 août au 14 septembre.
Dans son discours d’ouverture de la conférence de presse, Claude Ratzé a évoqué toutes les « dernières fois », en guise de préparation à la retraite. Que programmer pour cette dernière ? Fallait-il envisager une commémoration ? Une programmation testamentaire ? Que nenni ! Avec les nombreux et fidèles partenaires que sont toutes les institutions qui accompagnent le festival, c’est l’esprit de collaboration qui règne, avec plusieurs thématiques regroupant les différentes propositions de cette édition. À commencer par une surprise, en guise de première suisse : Dan Archer travaillera sur un projet participatif, où le plus grand nombre est convié, autour du secret. Le spectacle s’annonce cathartique, en collaboration avec le Service de la culture de Meyrin, qui fête les 30 ans du Forum. Une installation évolutive y figurera, avant une mise à feu le 6 septembre prochain, à la tombée de la nuit, pour moment de partage. De partage, il en sera également question dans le lieu central, sis cette fois-ci à La Réplique, le café de la Maison Saint-Gervais, qui sera renommée pour l’occasion « La Cantine ». On nous promet un self gourmand, un lieu pour se retrouver, avec des salons d’écoute à l’heure de l’apéro.
Écoute libre et immersive
Pour sa première programmation musicale, Matthieu Baumann a imaginé sept apéritifs musicaux sur la terrasse de la Réplique, où l’écoute sera libre et immersive, et centrée sur la scène locale. Ajoutez à cela deux soirées à la Gravière. Le 4 septembre tout d’abord, avec le Noctambar, qui accueillera Doctor K & Al Go-Rhythm pour un karaoké déjanté. Notez également le 13 septembre, avec une soirée Ritmo, sous le signe de diverses influences et de la multiculturalité.
Part belle à la création
La Bâtie se veut et restera un espace de liberté, pour les nouvelles formes et l’audace, avec une volonté d’ouverture. On notera quelques temps fort, avec la Cie Naponk, qui mêle théâtre, musique et danse, dans Ici rien ne va, à l’Orangerie. On nous promet une comédie musicale low-cost, où l’évocation et la tendresse seront de mise, autour de ce moment charnière qu’est l’adieu au foyer. On notera également les deux projets retenus de l’Abri, comme chaque année. Ludovico Paladini, dans un autoportrait transcendé intitulé LovPoem questionnera la complexité des sentiments du premier amour. Quant à Mayara Yamada, elle proposera le 5ème épisode du Marara Kelly Art Show, où la fête et le plaisir seront de mise, dans des inspirations du cœur de son Amazonie natale, pour développer ses rêves d’enfant.
On notera encore trois temps forts : SIX/SIX, qui avait marqué l’année 2001, revient là où tout a commencé, aux Scènes du Grütli. L’idée ? Placer l’interprète au cœur du projet. Ainsi, ce projet fondateur reviendra avec six courtes pièces, où les artistes ont été choisi·e·s au fil de rencontres et seront accompagné·e·s par un·e metteur·se en scène ou chorégraphe que chacun·e aura sélectionné. On évoquera encore les 1001BPM/Odyssée de Yasmine Hugonet, en collaboration avec le GTG et l’ADC, dans lequel elle questionne la relation entre forme, image et sensation, autour de la transformation de l’intime et du collectif. Enfin, Denis Maillefer présentera Se dire oui à Forum Meyrin, un spectacle documenté autour du mariage et de l’amour, basé sur des entretiens, et durant lequel 30 couples figurants ont accepté d’être présents.
Niveau musique enfin, Matthieu Baumann nous liste quelques événements phares : une soirée Eklekto à l’Alhambra, avec deux œuvres immersives inédites. À la salle du Faubourg, on retrouvera l’ensemble Contrechamps avec une proposition autour de Kafka. À Vernier, l’OCG et Sophie Le Meillour imagineront une promenade musicale, accompagnée de vidéo, jusqu’à la salle du Lignon. N’oublions pas non plus les différents vernissages qui auront lieu à l’Orangerie et à l’Usine à Gaz, ou encore la présence d’Evita Koné et ses chansons engagées, entre neo-soul et disco, aux caves de Versois.
Intimité
L’amour et son univers intime seront un des thèmes forts du festival. Deux performances unies seront à voir au Théâtre de l’Usine et aux Amis musiquethéâtre. Marvin M’Toumo se présentera tel un oiseau pour raconter, à travers chants et cris, un passé de violence et une sexualité brisée. Quant au Théâtre Indépendant, il évoquera aussi la violence, à travers la manière dont elle apparaît sur le corps.
À Bernex, Ambilly et Nyon, Jeanne Spaeter présentera Amour sous contrat, né d’un projet de contrat amoureux en 14 clauses et 365 jours d’essai. Ou comment construire une relation amoureuse contractualisée. Elle nous invite à une performance participative, née de la documentation autour de ce spectacle, avec une dimension féministe pour rendre compte des attentes du couple.
Quant aux autres temps forts de la thématique, on évoquera Living Smile India et son spectacle éponyme, dans lequel elle raconte son parcours en exil contre les discriminations et l’invisibilisation de la communauté trans, à travers des luttes dansées et chantées. Sur le parvis de la Chapelle de Saint-Cergues, Ilajan et Léa Martinez proposeront une folk généreuse et intimiste. Notons également la présence de Giorgio Poi, et ses sons indie-pop italiens, dans une atmosphère douce, ou encore Milan W, issu de la scène expérimentale flamande.
Jeux & Rituels
Des projets artistiques viseront également à réinventer le jeu. À commencer par Carton !, en collaboration avec l’Usine à Gaz, et un loto improvisé géant aux prix aussi originaux que loufoques. Quant à Mathieu Despoisse et Etienne Manceau, ils imagineront une performance circassienne autour d’une étagère IKEA, tout en revoyant le rapport au couple. À la Maison Saint-Gervais, Frédérick Gravel déconstruira la virilité et les codes de la masculinité dans Tout se pète la gueule chérie. Le Jamaïco-Norvégien Harald Beharie, de son côté, ira encore plus loin dans la déconstruction des stéréotypes autour des cors queer et noir, après une première proposition dans le cadre d’Emergentia, dans une expédition au cœur de la forêt, à Vernier. Une autre expédition, imaginée par Aurélia Lüscher, s’inspirera de la thanatopraxie, elle qui a effectué plusieurs stages dans les pompes funèbres, pour interroger la non-putréfaction des corps. Enfin, à la Cité Bleue, le fameux concert de Nina Simone au Montreux Jazz Festival sera réincarné dans un format piano-voix.
Constellations sonores
L’anniversaire du label Bongo Joe aura lieu au Point Favre, avec une soirée consacrée à des artistes du monde entier. On notera également la présence du Youtubeur Feldup à l’Undertown avec ses propositions musicales. Dans ces constellations, de nombreuses références internationales et autant de styles seront représentés.
Les immanquables
On commence ce chapitre avec Marlene Monteiro Freitas, qui ouvrira la saison de la Comédie après celle du Palais des Papes à Avignon. Dans NÔT, elle s’inspire des 1001 Nuits et du mythe d’Eros et Thanatos, pour interroges les désirs qui s’affrontent. Évoquons, toujours à la Comédie, Lia Rodrigues et Borda, qui nous appellera à des vœux d’unité et à l’émancipation par la création. Le Cirque Trottola tentera d’échapper à l’absurdité du monde, à travers un univers presque théâtral, inspiré de l’expressionisme. Barbara Carlotti marquera la programmation transfrontalière à Fort-l’Ecluse, avec une pop élégante et radieuse, sur l’amour et l’engagement.
Du côté d’Israel Fernandez, il s’agira de réinventer le flamenco, pour une première suisse, à l’Alhambra, accompagné de Diego del Morao. On notera également la présence de Lou Doillon, pour le concert d’ouverture du festival, avec ses influences rock et un set exclusif mêlant tubes et morceaux inédits. Enfin, à l’Usine à Gaz, on retrouvera Peter Bjorn and John, auteurs du tube Young Folks
Traversées et mémoires en mouvement
Satch Hoyt se réappropriera des instruments spoliés en Afrique et désormais exposés au British Museum, dans un concert-spectacle aux influences aussi diverses que variées. Ruth Childs investira le parc des Evaux avec une revisite de son fantasia hors les murs. On notera encore Tamara Alegre, qui réunit danseurs et DJs jamaïcains à l’ADC pour une soirée dance-hall, où la scène deviendra dancefloor.
Khalid Abdalla, de son côté, proposera, au Grütli, un manifeste pour l’humanité, dans un seul-en-scène où son histoire personnelle fera face à la grande Histoire. Il y sera question de soulèvements face aux gouvernements, dans une antibiographie qui placera l’intime face à l’universel. Enfin, la Villa Bernasconi se transformera en Chambres d’échos, où des femmes poétesses arabes contemporaines présenteront leurs récits personnels, intimes et universels, dans un labyrinthe poétique.
Compagnonnage et Trajectoires
Pour ce dernier pôle présenté par Claude Ratzé et son équipe, on retrouvera principalement la scène locale. À commencer par la reformation du quatuor genevois Magic&Naked, et l’artiste zurichois Palinstar qui assurera la première partie. À l’Alhambra, une soirée sera consacrée à la scène genevoise, avec notamment Chien Bleu, Milla et Al-Walid. On pourra également se rendre au Space Music Mercato, avec la présence de plusieurs musiciens engagés.
Enfin, on notera le retour de François Chaignaud et Boris Charmatz, deux figures emblématiques de La Bâtie. Le premier portera deux projets, dans le foyer du GTG et à Château-Rouge. Le second reviendra avec un spectacle qui tourne depuis 30 ans et demeure toujours aussi fort. Sans oublier son grand final, 10’000 gestes, un hommage à la danse sur la musique du Requiem de Mozart. Quoi de plus symbolique pour clore le magnifique parcours de Claude Ratzé, à qui nous souhaitons une excellente retraite ?
Fabien Imhof
La programmation complète et les détails de chaque spectacle sont à retrouver sur le site de La Bâtie – Festival de Genève.
Photos : ©TWKS (visuel de l’édition 2025), ©coucou studio (Cie Naponk), ©Svétäl-Anand Chassol (Marvin M’Toumo), ©Gabrielle Riouah (Barbara Carlotti)