Le banc : cinéma

Soul : du corps sans âme (1)

Aujourd’hui, parlons EMI (Expériences de Mort Imminente), jazz et film d’animation : bienvenue dans Soul, le petit dernier des Pixar Animation Studios (chapeautés par les macrophages Studios Disney), sorti en 2020. Un film attachant – mais pas sans fausses notes.

Vous l’avez peut-être manqué, car Soul, réalisé par Pete Docter (à qui on doit les excellents Monstres et Cie, Là-Haut et Vice-versa, toujours chez Pixar) est sorti exclusivement en streaming sur la plateforme Disney+, le 25 décembre 2020 – pandémie oblige ! Un petit résumé préliminaire s’impose donc, pour remettre nos métronomes à l’heure.

All that Jazz

Joe Gardner[1] est un pianiste afro-américain qui, malgré son talent, n’a jamais réussi à vivre de sa passion : le jazz. Plutôt que de donner des concerts dans les clubs, le voilà devenu prof de musique dans un collège où les élèves sont aussi arythmiques que démotivés. Un beau jour, il reçoit ce qui devrait être une bonne nouvelle : le voici devenu professeur titulaire dans l’enseignement public ! Loin de le faire bondir de joie, l’annonce sonne comme le glas de ses rêves. Lui qui espérait marcher sur les traces de son père jazzman, il voit son avenir tout tracé… Sa mère, elle, est folle de joie : Joe ne sera pas sans le sou.

Mais soudain, par un heureux hasard, Joe se trouve engagé dans un quartet prestigieux… qui s’est fait lâcher au dernier moment par son pianiste ! Sa première jazz session doit avoir lieu le soir même, au Half Note Club. Il n’en peut plus de joie… à tel point que voici victime d’un accident stupide !

Contre son gré, Joe atterrit donc dans l’au-delà, alors qu’il ne veut qu’une chose : retourner sur Terre pour ENFIN saisir sa chance ! Malheureusement, tout retour est strictement INTERDIT par le règlement. Une série de hasards le conduit dans un endroit nommé « You Seminar ». Dans ce centre de formation, les jeunes âmes (nommées par un numéro) se forgent une personnalité et découvrent les passions qui les animent… avant d’être envoyées sur Terre pour s’incarner dans le corps d’un nouveau-né. Les novices sont assignées à des mentors, des âmes défuntes particulièrement inspirantes (Marie Curie, Lincoln…), qui ont déjà vécu et peuvent donc les guider grâce à leur expérience. Coincé avec âme récalcitrante et cynique, 22[2], qui n’a jamais désiré s’incarner, Joe échafaude un plan : et si, avec l’aide de 22, il parvenait à réintégrer son corps ?

Body and Soul

À bien des égards, Soul est un film plaisant… qui laisse sur sa faim. Avant d’aborder ce qui, selon moi, en fait une histoire bancale, j’aimerais souligner ses points forts. Soul s’attaque en effet à une thématique qui, sans être absente au cinéma, n’est pas facile à traiter – surtout quand on s’adresse aux enfants : le passage entre la vie et la mort. Autrement dit, ce qui arrive une fois que le corps a cessé de fonctionner.

Pete Docter traite métaphoriquement son objet : l’au-delà. Comme dans Vice-Versa (qui s’intéressait à la vie intérieure d’une enfant ainsi qu’aux émotions régissant le conscient et l’inconscient) ou Monstres et Cie (qui faisait du monde des rêves et des peurs enfantines une multinationale pour monstres sortis des placards), il donne une version colorée et poétique du problème. Pour ce faire, il articule son film autour d’une thématique connue à la fois par le monde scientifique (quoique peu étudiée et encore moins expliquées) que par le grand public : les EMI – les Expériences de Mort Imminente. Suite à son accident, Joe est ainsi confronté tour à tour à une décorporation (la sortie du corps), à la grande lumière (vers laquelle on monte grâce à un tapis roulant suspendu dans le vide), à la rencontre avec d’autres âmes, à l’aperçu complet de sa propre existence… ainsi qu’à la sensation que son heure n’est pas encore venue. Joe fait donc, d’une certaine manière, l’expérience d’une « EMI parfaite », topique, qui rassemble la grande totalité des éléments rattachés à cette expérience.

À première vue, l’EMI de Joe a plutôt une valeur positive… sauf qu’elle ne tarde pas à devenir problématique, lorsqu’il essaie de réintégrer son corps : en effet, on ne badine pas avec l’au-delà et les entités qui y travaillent ! L’EMI que vit Joe ne tarde donc pas à se transformer en coma prolongé, qui voit son corps reposer à l’hôpital… et son esprit errer dans les différentes strates de l’Autre Monde, à la recherche d’une manière de rentrer sur Terre.

Magali Bossi

Retrouvez la seconde partie de cette critique ICI.

Référence : Soul, Pete Docter, 2021, 101 minutes.

Pour aller plus loin concernant les EMI :
– l’émission de Temps présent du 25 février 2021, « Expérience de mort imminente, enquête sur une énigme » (RTS1)
– le podcast de Nuit Blanche (S03 E08) du 5 juin 2020, « Les EMI négatives »

Pour lire, s’amuser… et voyager dans l’au-delà :
– Bernard Werber, Les thanatonautes, Paris, Le Livre de poche, 1996. (et les volumes suivants… mais le premier est vraiment le mieux !)

Pour découvrir les musiques qui ont inspiré cette critique :
All that Jazz
Body and Soul
My blue Heaven
Say It with Music

Photo : https://static1.colliderimages.com/wordpress/wp-content/uploads/2020/12/soul-counselor-jerrys-social.jpg

[1] Avec les voix de Jamie Foxx en anglais, et Omar Sy en français.

[2] Tina Fey en anglais et Camille Cottin en français.

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé. Elle aime le thé et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Présidente de l’association La Pépinière, elle est responsable de son pôle Littérature. Docteure en lettres (UNIGE), elle partage son temps entre un livre, un accordéon - et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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