La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°3 : Et la marmite se brisa

Et la Marmite se brisa : épisode 14

Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?

Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !

Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !

Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…

Alors, ça vous tente ?

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 14 : Un rapport tardif

Poste de Police, Genève.

Le 10 décembre, vers 20h.

L’inspecteur Tabazan est assis à son bureau.

Le soleil est couché depuis longtemps et la plupart de ses collègues sont déjà rentrés chez eux depuis un moment, ce qui donne au lieu l’aspect d’une fourmilière délaissée par ses locataires. Il n’aperçoit presque aucun mouvement au travers de la vitre de la porte qui filtre la lumière du couloir. Seuls quelques-uns de ses collègues qui planchent sur des dossiers épineux ou urgents hantent encore les lieux, visibles dans des coins épars de l’open space, éclairés chacun d’une petite lampe de table. Les pieds sur son bureau, le regard dans le vide et l’expression de celui qui a passé une sale journée, l’inspecteur essaie d’agencer les informations, les idées et les pistes accumulées depuis deux jours. Mais franchement… ça ne le mène pas bien loin pour le moment.

En sirotant bruyamment une gorgée de café bien serré – il sait de toute façon qu’il ne dormira pas bien tant qu’il n’aura pas mis un peu d’ordre dans ses idées –, il se lève pour prendre de la hauteur et  parcourir les éléments du dossier qui jonchent son bureau, dans ce qui semble être un parfait désordre mais qui relève en réalité d’un agencement tout à fait propice à sa réflexion : photos de la scène de crime, déposition des éboueurs, rapport provisoire de l’autopsie, déclarations des frères Royaume…

Alors que ses pensées tournent en rond et semblent ne le conduire nulle part, il entend une voix rompre le silence vespéral qui règne dans le bâtiment…

« L’inspecteur Tabazan est encore ici ? » entend-il demander au loin. Le timbre lui disait quelque chose.

« Bonsoir, le poste est fermé à cette heure. Merci de repasser demain », répond un collègue taciturne et peu amène, dont l’inspecteur reconnaît sans peine le ton blasé à travers la porte de son bureau.

« C’est que c’est très important, c’est lié à une affaire en cours. Croyez-moi, il préfèrera, sans doute aucun, me recevoir séance tenante plutôt que d’attendre demain. »

« Pfff… si vous le dites. Voyez ça directement avec lui, alors. S’il vous envoie bouler, par contre, ça vous regarde. La dernière porte à gauche au fond du couloir, là-bas ».

Tabazan entend les bruits de pas se rapprocher… jusqu’à ce que l’individu en question arrive devant la porte et qu’il reconnaisse le visage pâle, presque blanchâtre, propre à tous ces gens qui travaillent l’intégralité de leur temps en intérieur (et qui n’ont manifestement pas non plus d’activités personnelles qui leur fassent mettre les fesses dehors), de Pierre Dunant, le légiste. Ben voyons, manquait plus que ça. Décidément, c’est sa journée. L’inspecteur n’a toujours eu que très peu d’estime pour ces rats de laboratoire et autres intellos de service qui ont réponse à tout. Lui est un homme de terrain, un vrai, et il en est fier. Le légiste passe la tête dans l’entrebâillement de la porte sans même frapper.

« Inspecteur, j’ai des nouvelles concernant l’homme sans tête », dit-il à brûle-pourpoint, alors que le reste de son corps suit sa tête dans le bureau.

« Bonsoir, Dunant. Allez-y, rentrez, ne vous gênez pas et dites-moi de quoi il s’agit. Vite. »

« Le rapport complet va vous parvenir demain dans la journée, mais je me suis dit que vous voudriez connaitre les conclusions aussi vite que possible. »

Pas étouffé par la politesse, ce Dunant. Sur l’échelle de la sympathie, de 1 à 10, Tabazan lui donnait [-3] – et encore, les bons jours.

« C’est juste. Vous avez bien fait. Dites-moi tout alors ».

Le ton d’autosatisfaction du jeune légiste commence déjà à l’énerver. Il a plutôt intérêt à ce que son rapport soit nickel, sinon il va prendre un malin plaisir à lui fermer son clapet, pense l’inspecteur au fond de lui. Pour être honnête, même si le rapport est parfait, Tabazan ne manquera de lui envoyer quelques saillies bien senties, histoire bien de lui rappeler la place des intellos à lunettes dans une enquête – et celle des inspecteurs.

« Alors, pour commencer, j’ai les résultats pour les yeux : ce sont des yeux bruns, pas d’hétérochromie, appartenant à une même personne, laquelle était myope astigmate et portait très certainement des corrections assez importantes. »

« Très bien. Ce sont les yeux de la victime ? »

« Si par “la victime”, vous entendez notre homme décapité, eh bien, non. Mais vu que qu’on a retiré les yeux à cette personne, je pense qu’on peut dire que c’est une victime quand même – simplement, une autre que celle qui nous occupait jusque-là. Ce qui, si je ne me trompe pas, porte le nombre de nos victimes à… deux. À noter que les yeux ont été retiré post mortem »

C’est qu’il joue sur les mots, en plus, le petit malin. Mais Tabazan ne s’arrête pas sur le trait d’esprit du légiste, préférant se concentrer sur ses derniers mots :

« Post mortem ? Vous êtes sûr ? » interroge-t-il en avalant une gorgée de son café presque froid. Dunant a beau être un insupportable je-sais-tout, il a effectivement raison sur un point : si les yeux n’appartiennent pas à la victime décapitée retrouvée en Vieille-Ville, il y a très certainement un autre crime en cours quelque part dans le coin… L’affaire est en train de prendre une toute autre tournure…

« L’ADN ne ment jamais, inspecteur. Aucun lien de parenté entre les yeux et l’homme sans tête. On peut toutefois ajouter que l’opération d’ablation oculaire a été réalisée avec dextérité et précision, comme on l’avait observé pour la décapitation. Le criminel est peut-être le fils caché d’un bûcheron et d’un chirurgien, allez savoir, ou d’un boucher et d’une horlogère… »

« C’est bon j’ai compris », coupe Tabazan, alors que le sourire du légiste redevient une expression neutre. « Gardez vos blagues pour vous et contentez-vous des faits. Pas de résultat d’identification pour les empreintes digitales ou l’ADN ? »

« Rien pour les empreintes. Le décapité n’est fiché nulle part. J’ai poussé la recherche dans le fichier international d’INTERPOL – j’ai une amie qui travaille là-bas et qui a accéléré un peu la démarche… mais rien du tout. Par contre, les yeux… on a une correspondance d’environ 25% sur un certain Robert Lambert, condamné il y a une dizaine d’années pour divers larcins dans la région. »

« 25% ? Qu’est-ce que ça veut dire ? »

« Eh bien, ça veut dire qu’on a de la chance – mais juste un peu. Robert Lambert est un parent de degré 2 avec notre victime aveugle : un cousin éloigné, une grand-tante, le tonton un peu chiant qu’on voit aux repas de famille annu.. »

« Les faits ! Dunant, les faits ! C’est pas compliqué, pourtant. Enfin, j’ai compris l’idée. Et le bitume, ça dit quoi ? »

« Le bitume ? Quel bitume, inspecteur ? »

« Eh bien, le bitume qui était dans la marmite avec les yeux, bon sang ! »

« Aaah, le composé mystère. Pourquoi vous appelez ça du bitume ? »

« C’est comme ça que Miss Apfel a désigné cette… chose. »

« Miss Apfel… la géologue ? »

Tabazan hausse le sourcil, d’un air mi-interrogatif et mi-réprobateur. Si c’est encore une blague…

« Miss Apfel, la spécialiste de l’ingénierie chimique ? » continue le légiste, taquin.

« Vous savez très bien de quelle Miss Apfel, je parle, Dunand. » Tabazan parle entre ses dents serrées et ça, c’est vraiment très mauvais signe – même Dunand en a conscience.

« Aaaaah », finit-il enfin par s’exclamer. « Miss Apfel, notre ancienne archiviste qui a une passion pour la criminologie et qui vous coupe de temps en temps l’herbe sous le pied… cette Miss Apfel-là. Si je puis me permettre un avis, en ma modeste qualité de légiste, peut-être serait-il pertinent de laisser la science aux scientifiques, les enquêtes aux enquêteurs et… l’archivage aux archivistes… »

L’inspecteur se retrouve très irrité par cette remarque du légiste, surtout qu’il n’a rien à répondre. Miss Apfel est – d’accord, une insupportable, fouineuse, vindicative, têtue… mais elle se trompe rarement, très rarement, il faut bien le reconnaître. Bon, mais c’est vrai qu’elle pourrait se mêler de ses affaires. Il ne sait pas ce qui l’agace le plus avec le légiste, pour le coup : son petit ton narquois, ou le fait qu’il soit d’accord avec lui, pour une fois.

« Alors allez-y… éclairez-moi de vos lumières “scientifiques” et passez-moi vos commentaires sur ma façon d’intégrer les indices et d’écouter les vieilles dames. C’est quoi, ce composé mystère ? »

« C’est là que ça commence à devenir intéressant. Inconnu au bataillon. Il a bien l’aspect noirâtre visqueux qui rappelle vaguement le bitume ou la poix… mais impossible d’en deviner l’usage initial. Matériaux de construction, composé pour l’étanchéité des bateaux, produit pour l’industrie pétrolière… on pourrait tout imaginer. Sûrement pas la conservation des organes en tout cas, si vous voulez mon avis. En revanche, ce qui est vraiment intéressant, c’est qu’il est fortement chargé à l’aide d’un puissant composé psychotrope, dont la nature exacte n’a pas été déterminée… mais dont on est sûrs qu’il est extrêmement hallucinogène, même à petite dose et par simple inhalation. Une seule bouffée et vous voilà parti pour planer à quinze milles pour un moment ! »

Cela commence à faire beaucoup d’informations pour l’inspecteur. Les idées se percutent dans sa tête comme des quilles sur une piste de bowling.

« C’est tout ? » demande-t-il ?

« Encore une petite chose : la tâche d’encre que vous avez habilement découverte sur le corps ».

Le légiste prononce ces mots de sorte qu’il est impossible de se méprendre sur ce qu’il pense vraiment du caractère « habile » de la trouvaille.

« C’est de l’encre tout ce qu’il y a de plus ordinaire, trouvable dans n’importe quel stylo-bille bas de gamme de la supérette du coin de la rue. »

« Et le motif que ça représentait ? L’oiseau ? De quelle esp… »

« Aucune idée, je ne suis pas ornithologue. »

Arnaud Chiaradia

La suite, c’est par ICI !

Et pour retrouver tous les épisodes, c’est par LÀ !

 Tu n’as pas froid aux yeux et tu veux nous rejoindre ? N’hésite pas à nous envoyer un petit mot et toutes les informations pour ta prochaine enquête littéraire suivront…

Photo : © Shutterbug75

Une réflexion sur “Et la Marmite se brisa : épisode 14

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *