Les réverbères : arts vivants

Souvenirs de Buenos Aires

L’opéra-Tango María de Buenos Aires est à découvrir au Grand Théâtre, jusqu’au 5 novembre. Ses trois créateurs laissent une empreinte musicale et poétique auprès de tous ceux et celles qui verront cette représentation.

Horacio Ferrer, Astor Piazzolla y Amelita Baltar, ambassadeurs d’une nouvelle forme de tango.

Un jour « que estaba borracho Dios[1] » est née María, l’incarnation de la ville de Buenos Aires, où le tango règne en maître. Une très belle et torturée héroïne portègne d’une voix lyrique obscure et dotée d’une délicieuse sensualité, avec un langage surréaliste et captivant envoûte les rues de Buenos Aires. Le tango de l’incommensurable Astor Piazzolla musicalise sous la forme d’un opéra un livret révolutionnaire et provocateur écrit par son ami uruguayen, le grand et respectable Horacio Ferrer, sous le nom de María de Buenos Aires. La muse de Piazzolla, Amelita Baltar, chanteuse et actrice renommée est celle qui a créé le personnage de María et a été la première à l’interpréter. Elle fait partie, avec Astor Piazzolla et Horacio Ferrer, du trio qui a révolutionné le tango avec ces fameux opéras María de Buenos Aires (1968) et Balada para un loco (1969). Son enregistrement et sa façon d’interpréter ont fait d’Amelita Baltar l’une des voix les plus reconnaissables du chant populaire argentin et des plus appréciées en Amérique latine. Cette œuvre est l’œuvre la plus représentée en Argentine et dans le monde entier depuis sa création en 1968.

Certains commentaires ont par le passé évoqué un aspect minimaliste, la classant comme une « opérette » avec un lointain parfum de tango, teintée de vaines tentations impures où se mélangent la musique classique au tango et qui la priverait ainsi de sa vertu originelle, de sa nature profonde, qu’est le tango populaire argentin. Que nenni… il n’est rien de tout cela ! C’est une partition colorée d’originalité, et le public ne peut que tomber sous le charme de cette nouvelle production, proposée pour la toute première fois au Grand Théâtre de Genève.

L’argument propose une critique sociale qui dénonce la lutte d’une femme pour sortir du lot dans une société où prime l’argent et l’arrivisme. Le peuple est désespéré et forme un chœur de toute grande ampleur vocale. Ses trois créateurs laissent une empreinte musicale et poétique auprès de tous ceux et celles qui verront cette représentation. C’est exactement ce qu’il s’est passé au Grand Théâtre de Genève lors de la première du 27 octobre 2023.

Astor Piazzolla, Amelita Baltar, Horacio Ferrer.

L’orchestre de la Haute école de musique de Genève a joué ces tangos comme si ses musiciens s’étaient formés dans l’ambiance du Rio de la Plata. Les protagonistes sont l’attirante soprano portugaise Raquel Camarinha, María, la percutante et douée Inés Cuello, la Voz de un Pallador ainsi que deux femmes qui représentent une figure initialement masculine, El Duende Melissa Vettore et Beatriz Sayad ont captivé le public avec leurs personnages, sous la direction musicale de l’argentin Facundo Agudín, dans une mise en scène signée Daniele Finzi Pasca et une scénographie de grande qualité de l’uruguayen Hugo Gargiulo.

La chorégraphie Maria Bonzanigo se réinvente, en mélangeant le genre du tango à de nouvelles approches stylistiques. C’est ainsi que le public se délectera à la découverte des danseurs et acrobates de la Compagnie Finzi Pasca.

La relation entre tous les personnages est rassemblée par la cohérence visuelle et musicale. Le tout évoluant dans le chaos et le mystère de la poésie du tango argentin-uruguayen. Comme le disait Jorge Luis Borges qui aimait se promener dans les rues de Genève tout en repensant à « su Buenos Aires querido[2] » :

El tango puede discutirse, y lo discutimos, pero encierra,
como todo lo verdadero,
un SECRETO.[3]

Natacha Gotti

Infos pratiques :

Maria de Buenos Aires, opéra-tango d’Ástor Piazzolla, livret de Horacio Ferrer

Direction musicale : Facundo Agudín

Mise en scène : Daniele Finzi Pasca

Avec Raquel Camarinha, Inés Cuello, Melissa Vettore, Beatriz Sayad, Acrobates et acteurs de la Compagnie Finzi Pasca, Cercle Bach de Genève et Chœur de la Haute école de musique de Genève, Orchestre de la Haute école de musique de Genève complété par des solistes du tango

https://www.gtg.ch/saison-23-24/maria-de-buenos-aires/

Photos : © www.lanacion.com.ar (photo couleur d’Horacio Ferrer, Astor Piazzolla et Amelita Baltar), © Compte Instagram d’Amelita Baltar (photo noir/blanc d’Horacio Ferrer, Astor Piazzolla et Amelita Baltar) et © Carole Parodi

[1] Que Dieu était ivre

[2] Sa chère Buenos Aires

[3] Le tango peut se discuter, et nous en discutons, mais il contient, comme tout est vrai, un secret.

Natacha Gotti

Passionnée de théâtre depuis sa plus tendre enfance, Natacha Gotti a étudié les Lettres, la psychologie et la pédagogie à l'Université de Genève.

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