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The Father : ce qui reste quand tout se délite

The Father raconte la lutte d’un homme qui perd pied à mesure que sa mémoire se dégrade. En adaptant sa propre pièce de théâtre, Le Père (2012), Florian Zeller réalise un premier film bouleversant d’humanité, auréolé d’une pluie de nominations et de récompenses.

Anthony (Anthony Hopkins), sémillant octogénaire, se sent bien dans son grand appartement londonien d’où s’échappent des airs de Maria Callas. Son seul souhait est de continuer à y vivre en paix. Il ne comprend pas pourquoi sa fille Anne (Angela Colman) s’est installée chez lui avec son compagnon Paul (Rufus Sewell). Comme si leur rapports n’étaient pas déjà assez tendus, Anne insiste pour lui imposer la présence d’une aide-soignante, une ingérence qui l’irrite profondément. Et lorsqu’elle évoque l’idée de le placer en maison de retraite, il monte carrément aux créneaux. Que lui veut-elle à la fin ? Serait-ce une tactique pour se débarrasser de lui et s’approprier son appartement ? Farouchement prêt à défendre son autonomie, Anthony se dressera contre tous ceux qui ont décidé de s’en prendre à lui.

À moins qu’ils ne cherchent en réalité à l’aider ? Car, en dépit des apparences, il semblerait qu’Anthony ne partage plus la même réalité que son entourage et que celui-ci soit son dernier rempart avant sa chute…

Montrer ce qui blesse

Avant Le Père, le dramaturge Florian Zeller a écrit la pièce de théâtre La Mère (2010). Huit ans après, il signe Le Fils (2018, auquel Fabien Imhof a consacré une critique à lire ici). Ces trois pièces ont en commun d’explorer la façon dont le lien familial se transforme, lorsque la souffrance affecte un de ses membres. Dans Le Père (devenu The Father, au cinéma), c’est le rapport père-fille qui est mis à épreuve, avec, pour toile de fond une maladie dégénérative, vraisemblablement la maladie d’Alzheimer.

Choyé par le septième art et suscitant la compassion du public, le thème de la démence a occasionné d’inoubliables chefs-d’œuvre, particulièrement durant cette dernière décennie. Comme pour témoigner d’une souffrance trop importante pour n’être que suggérée, certains cinéastes ont exposé au grand jour la dégénérescence sans omettre les instants les plus cruels. Haneke dans Amour (2012), ou Westmorland et Glatzer dans Still Alice (2014), pour ne citer qu’eux, décrivaient déjà, au moyen de scènes fortes, la décrépitude de personnes atteintes dans leur santé et les répercussions sur leur entourage. On se souvient du dilemme final d’Amour lorsque, voyant son épouse au plus mal, le mari consent au sacrifice ultime. Dans The Father, Zeller leur emboîte le pas avec la même intensité en mettant en scène les pertes de mémoire, la confusion, les délires, mais aussi les moments de lucidité de son protagoniste.

Identification

Si The Father ressemble aux films précédemment évoqués sur le fond, il a néanmoins une particularité tout à fait surprenante sur la forme. Pour illustrer la dégénérescence d’Anthony, Zeller choisit en effet de placer le spectateur dans sa tête, en le contraignant à vivre chaque scène à travers son prisme altéré par la maladie.

En collant délibérément à la vision d’Anthony, on se retrouve comme lui, perdu, ne sachant plus vraiment qui sont les personnes qui nous entourent. Ainsi, la fille, apparue dans les premières scènes et incarnée par une première actrice, ne sera plus la même quelques scènes plus tard. Pour illustrer les engrenages de la maladie, Zeller se sert aussi largement de l’effet de déjà-vu. Une véritable confusion, tant spatiale que temporelle, s’opère donc – si bien que l’on en vient à se demander si la scène à laquelle on vient d’assister a réellement eu lieu. On ne pourra compter que sur des éclairs de lucidité d’Anthony pour comprendre, en fin de compte, de quoi il en retourne. Sans en faire un thriller psychologique pour autant, le film n’est pas sans rappeler Shutter Island (2010) dans lequel on en venait aussi à douter de nos propres perceptions. En nous baladant de la sorte, Zeller parvient à nous rendre solidaire de la révolte d’Anthony contre son sort. Un procédé remuant mais efficace puisqu’il permet, dans une certaine mesure, une compréhension de la maladie, comme vécue « de l’intérieur ».

Entourage

Malgré sa lutte pour tenter de rester maître de ses pensées, Anthony se rend compte de sa propre déchéance. Alors, que reste-t-il quand tout s’effondre ? C’est ce que questionne le film, une fois la problématique de la maladie posée. Et c’est au tour de l’entourage d’Anthony d’entrer en jeu.

L’interprétation d’Angela Colman est remarquable, notamment dans l’attitude non verbale de son personnage. En adaptant continuellement son jeu entre la retenue et l’ultra-vigilance, elle incarne une fille qui tente, avec son bon sens mais sans manuel, de soutenir ce père dont elle ne reconnaît plus le comportement. Tantôt affable, tantôt agressif, la méfiance de celui-ci à son égard frôle souvent la paranoïa. Mais Anne tient bon et un nouveau lien se dessine entre eux, faisant des rares moments de complicité de véritables onguents d’amour. Et au delà de la souffrance, c’est finalement la bienveillance qui ressort. À l’instar de la scène finale, franchement magistrale, tant par l’interprétation que pour le message qui en émane. Quand tout espoir est perdu, que reste-il, sinon la confiance qu’on place en autrui et une certaine forme d’abandon ?

Extrêmement bien écrit, ce drame ferait un excellent film de propagande pour lever des fonds dans la recherche médicale. Impossible de rester de marbre devant l’enlisement programmé de la maladie. Mais si le film a une charge émotionnelle aussi intense, c’est certainement avant tout parce qu’il rappellera à chacun sa propre faillibilité et à quel point l’entourage joue un rôle essentiel quand tout s’effondre.

Valentine Matter

Référence :

The Father, de Florian Zeller, avec Anthony Hopkins, Angela Colman, Rufus Sewell… 97 minutes. France, Royaume-Uni, 2020 (sortie en salles le 26 mai 2021)

Photos : https://moviefit.me/fr/titles/355788-the-father et https://www.cinoche.com/actualites/nouveautes-en-salles-the-father-et-effacer-l-historique

Valentine Matter

Cinéphile éprise du genre documentaire, Valentine n’en apprécie pas moins la fiction et ne résiste certainement pas aux comédies grinçantes. Sa formation de psychologue entre plus volontiers en résonance avec les personnages lorsqu’ils sont complexes et évolutifs.

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