Quand l’amour parental ne suffit pas
Une grave crise existentielle d’adolescence, des parents dépassés malgré toute leur bonne volonté. Voici, en substance, le propos de la pièce Le Fils de Florian Zeller, mis en scène jusqu’au 9 mai prochain par Elidan Arzoni au Théâtre Alchimic.
Des parents divorcés, Pierre, le père (Cédric Dorier) qui s’est remarié avec Sofia (Arblinda Dauti), une femme plus jeune ayant accouché récemment, et un lot de questionnement sur l’utilité de la vie, c’est ce que vit le jeune Nicolas (Raphaël Harari), Le Fils de la pièce éponyme. Quand ses parents apprennent qu’il ne va plus au lycée depuis trois mois, Pierre essaie de reprendre les choses en mains et accepte la demande de son fils d’emménager chez lui, histoire de prendre un nouveau départ : changement de logement et de lycée, lien avec son petit frère, tout est mis en œuvre pour que Nicolas aille mieux. Mais quand on « n’arrive pas à vivre », difficile de trouver goût et sens à son existence. Et les conséquences pourraient bien être terribles…
Une ambiance sombre
On en a désormais l’habitude avec Elidan Arzoni, la mise en scène est épurée : tout est noir, à peine éclairé par quelques spots qui varient selon les moments, des chaises parfois disposées sur le plateau suivant le lieu représenté, et c’est tout. C’est le texte qui prime. Une grande place est ainsi laissée à l’imaginaire des spectateur·trice·s. On le comprend bien vite, l’ambiance sera sombre. En témoignent les costumes gris et noirs portés par les comédiens. Tout est sombre sur la scène, comme une métaphore de l’état dépressif de Nicolas. Cette ambiance contraste avec les capsules vidéo de l’enfance de Nicolas – (Vidal Arzoni, le fils du metteur en scène, dans des scènes filmées d’ailleurs par Raphaël Harari, un joli clin d’oeil !) – sur lesquelles celui-ci apparaît souriant et plein de joie de vivre, avec des vêtements colorés, au soleil et dans la nature. Ces deux atmosphères, en opposition totale, représentent ainsi parfaitement ce que dit le texte, et plonge le spectateur dans un état d’empathie plus fort encore.
La détresse des proches
Car ce qui nous est raconté sur scène, c’est bien la dépression d’un adolescent, qui ne sait plus comment faire pour vivre, qui sent que quelque chose ne va pas sans parvenir à mettre le doigt dessus. Et ses proches, avec toute la bienveillance du monde, ne parviendront jamais à le comprendre véritablement. Il y a ainsi la mère, Anne (Sophie Broustal), complètement dépassée et qui entre en conflit avec son fils, malgré tout l’amour qu’elle lui porte. Elle n’a jamais pu se remettre du départ de Pierre et cette souffrance est ressentie fortement par Nicolas, qui ne sait plus s’il doit encore aimer son père ou le détester pour avoir fait tant de mal à sa mère. Pierre, ensuite, cherche à tout contrôler, toujours avec beaucoup de bienveillance néanmoins. Il ne cesse ainsi de répéter que « tout ira bien, tu verras, tout va bien se passer, il faut me faire confiance ». En réalité, il ne contrôle rien, et ne sait pas s’y prendre : tantôt ferme, tantôt dans l’écoute, il cherche à encourager son fils, lui montrer qu’il a confiance en lui, mais sans jamais chercher à comprendre profondément ce qu’il vit. Il s’en rendra d’ailleurs compte dans une scène particulièrement émouvante où il se surprend, sous le coup de la colère, à prononcer les mêmes phrases que son père vingt ans auparavant : « Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? Tu te rends compte que tu as tout pour réussir et que tu gâches tout ? », phrase qu’il abhorrait lui-même au plus haut point. Enfin, Sofia, la belle-mère, bien que réticente à l’arrivée de Nicolas, fait tout pour qu’il se sente bien, alors qu’elle se retrouve seule à élever le jeune Sacha, Pierre partageant tout son temps entre son travail et Nicolas. Sans qu’elle ne le dise, on comprend que la charge mentale sur ses épaules est de plus en plus grande, mais elle accepte malgré tout et comprend les préoccupations de son mari. Un modèle de bonté.
Ce panel de personnages illustre à quel point on peut être démuni face à l’état dépressif d’un proche. Et quand les sentiments entrent en jeu, il devient difficile de faire la part des choses et de prendre les bonnes décisions, aussi difficiles soient-elles. Ceci, on le comprend d’autant mieux lorsque Nicolas est interné une semaine après une tentative de suicide. Retrouvé par Sofia, il sera hospitalisé et soigné. L’intervention du médecin (Thierry Piguet) et de l’infirmier (Adrian Filip) suffisent à rappeler que la dépression est une maladie, un état de fait qu’on a trop souvent tendance à oublier, et que tout l’amour du monde ne suffit pas à la soigner. Il faut du temps et une approche appropriée, par des professionnels. Difficile bien sûr à entendre pour des parents qui aiment leur enfant de tout leur cœur.
Inutile de le dire : tout cela finira mal. Et si la pièce se concentre autour du fils, un rôle d’une extrême difficulté dans lequel Raphaël Harari excelle, ce spectacle nous montre à quel point une situation aussi grave implique tout l’entourage de la personne et a un impact sur le mental de chacun. Il nous rappelle aussi que le théâtre agit comme un miroir de la société, capable de décupler les émotions. Dans ce casting trié sur le volet auprès de 112 candidat·e·s, l’ensemble des comédien·ne·s fait preuve d’une telle sincérité et d’une telle justesse dans leur jeu qu’on ne sait plus vraiment si on est au théâtre ou si on assiste à la vie d’une vraie famille, qui se déploierait devant nous. Quoiqu’il en soit, Le Fils, dans cette mise en scène d’Elidan Arzoni, est un spectacle complexe qui marque et ne laisse pas indifférent. Ni indemne.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Le Fils, de Florian Zeller, par la Cie Métamorphoses, du 20 avril au 9 mai 2021 au Théâtre Alchimic.
Mise en scène : Elidan Arzoni
Avec Raphaël Harari, Sophie Broustal, Arblinda Dauti, Cédric Dorier, Thierry Piguet et Adrian Filip
Photos : © Carole Favre
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