Tristan & Isolde entre ombre et lumière
Du 15 au 27 septembre le Grand Théâtre de Genève ouvre sa saison avec l’œuvre mythique de Richard Wagner Tristan & Isolde, dans une mise en scène très minimaliste de Michael Talheimer.
D’entrée de jeu ce sont les feux de la rampe qui donnent le la. Un mur de fond rythmé de spots très esthétiques modifie la lumière au gré de l’histoire et des sentiments des protagonistes. L’ombre et la lumière seront les principales actrices de ce drame wagnérien qu’une mise en scène minimaliste exacerbe. Une volonté de suivre le texte du livret puisque l’amour de ce couple malheureux ne peut se révéler au grand jour, mais dans l’obscurité de la nuit qui les protège.
« Le jour, la réalité est différente. Là, c’est le quotidien, la clarté, le calcul et la raison qui prévalent. Mais la nuit, c’est tout autre chose qui prévaut. »
Lors du prélude, une femme, Isolde, dans une robe de mariée volantée (un peu trop !) s’arqueboute péniblement sur une corde dont on ne voit ce qu’elle tire. Un bateau forcément. Belle et puissante image qui préfigure le parcours douloureux et héroïque d’Isolde. La rage décuple la force d’Isolde qui de Tristan ne veut rien savoir, puisqu’il a tué son bien-aimé et fiancé, Morold. C’est dans cette folie que l’on découvre cette reine trahie. Le bateau apparaît dans sa masse noire géométrique, avec sur le pont Brangäne qui tente de raisonner sa maîtresse. Rien n’y fera. Isolde n’a pas l’intention de se soumettre au mariage avec le roi Marke, mais Brangäne, Deus ex machina, décidera du destin de Tristan et Isolde en substituant un philtre d’amour au philtre de mort, celui qu’Isolde destinait à Tristan, quitte à mourir elle-même.
Si jusque-là la tension dramatique s’annonce à la hauteur de cette passion interdite, le soufflé retombe rapidement tant on n’arrive pas à croire au miracle du philtre. À cet instant ontologique, où l’amour telle une lumière aveuglante se saisit de deux êtres, où ce coup de foudre illumine si violemment le ciel de la vie, où sidération et désir conduisent à l’extase, la scène est vide, Tristan est à cour, Isolde à jardin. Mais la musique est là. Dirigé par le chef allemand Marc Albrecht, l’OSR égrène avec délicatesse toutes les couleurs orchestrales wagnériennes tout en développant l’extraordinaire tension musicale de l’œuvre.
Le jeu de Tristan et Isolde, respectivement Gwyn Hughes Jones et Elisabeth Strid , bien que sans doute induit par la mise en scène minimaliste, reste timide et maladroit et on peine à comprendre ce qui se joue entre eux.
Elisabeth Strid pourtant rompue au chant wagnérien délivre une performance inégale avec de très beaux aigus mais des médiums et des graves de peu d’amplitude altérant ainsi la ligne de chant. La puissance et la projection vocale que nécessite une telle partition ne sont pas au rendez-vous. Du côté de Tristan le timbre est beau mais Tristan, le héros, l’homme déchiré entre la loyauté et l’amour reste prisonnier d’une mise en scène et d’un décor peu inspirants. C’est au troisième acte dans son agonie qu’il délivre son plus beau chant.
Brangäne, Kristina Stanek, en revanche tranche avec les deux protagonistes. La voix est soyeuse, puissante, d’un métal ambré, enrobée de velours, jamais forcée. Sa diction parfaite, son jeu hiératique mais expressif, qu’elle adapte aux exigences de la mise en scène, force l’admiration. Au deuxième acte sa voix provenant soudain de l’autre côté de la salle est un moment de grâce et confère au personnage une aura mystique. Le roi Marke, Tareq Nazmi, enveloppe l’air de son magnifique timbre de basse, d’abord pour exprimer son incompréhension et sa tristesse puis enfin pour pardonner.
Du côté des seconds rôles c’est un magnifique Kurwenal, Audun Iversen, qui témoigne son amitié indéfectible à Tristan. Son jeu vrai et empathique donne enfin vie à cette production où la passion ne s’exprime que par la musique.
Dans un entretien, Marc Talheimer s’exprime sur le choix de la mise en scène et dit ne pas reconnaître sa mise en scène dans le mot « minimaliste » il préfère le terme « réduction » ou « concentration ». Il souhaite laisser l’imaginaire du spectateur suivre son chemin, ne pas lui livrer du prêt à porter. Laisser parler la musique et se concentrer sur l’essentiel : cette histoire d’amour, passionnelle, impossible, complexe, jamais consommée comme l’évoque cette « mélodie infinie » qui reste en suspension et jamais ne se résout. Une vision qui se défend mais qui laisse pourtant le spectateur sur sa faim.
Katia Baltera
Infos pratiques :
Tristan & Isolde, de Richard Wagner, du 15 au 27 septembre 2024 au Grand Théâtre de Genève.
Mise en scène : Marc Talheimer
Direction musicale : Marc Albrecht
Avec Elisabeth Strid (Isolde), Gwyn Hughes Jones en alternance avec Burkhard Fritz (Tristan), Tareq Nazmi (Le Roi Marke), Kristina Stanek (Brangäne), Audun Iversen (Kurwenal), Julien Henric (Melot), Emanuel Tomljenović (Un matelot, un berger), Vladimir Kazakov (Un timonier)
http://www.gtg.ch/saison-24-25/tristan-isolde/
Photos : © Carole Parodi