Trois parcours pour conclure C’est Déjà Demain 12
Les trois spectacles proposés hors du Théâtre du Loup ont ceci de commun qu’ils proposent, chacun à leur manière, une forme de parcours de vie. Au Grütli, on a dansé pour résister, à l’Abri, pour se souvenir et se construire et à Saint-Gervais, on a ri et réfléchi pour passer l’adolescence.
rabbia – mouvement de colère
En entrant dans la salle du haut du Grütli, on se retrouve d’abord sur le plateau, face à un rideau composé de banderoles de protestations : on y voit notamment celles du Rhino, de la ZAD de la Coline ou des luttes féministes. Puis le rideau se lève, dévoilant les gradins dans lesquels nous allons nous asseoir. S’ensuit la performance intitulée rabbia, menée au plateau par les platines d’Angie Addo et la danse d’Angela Aldebs. Le titre signifie « colère » en italien. La performance porte sur l’expression des luttes face aux différentes formes d’injustice. Sur scène, le spectacle, créé et mis en scène par Savino Caruso et Gilda Laneve, illustre comment on peut être à la fois artiste et activiste.
Tout commence par des mots en arabe, traduits en surtitres juste après. Il y est question d’exprimer sa colère, de l’impression qu’on a que celles et ceux qui parlent cette langue sont en colère, avec une belle réflexion sur le fait que ce sentiment est vu, en Europe, comme négatif. rabbia tend à nous prouver l’inverse. Dans ce spectacle en anglais surtitré, on réfléchit sur la langue, mais aussi et surtout sur le fait qu’exprimer sa colère est un privilège dont on n’a pas toujours conscience. Il est ainsi très différent de voir les infos – et pouvoir manifester en fonction – ou de les vivre, nous dit-on. Dans ce spectacle, on nous incite à exprimer notre colère, quelle qu’en soit la cause, et quelle qu’en soit la manière : on peut descendre dans la rue, pleurer, hurler, se défouler… C’est cette dernière option qui est finalement retenue, avec une danse enflammée de la part d’Angela Aldebs, qui nous invite ensuite à la rejoindre, pour créer une force collective. Car ensemble, on est plus fort·e·s, et la joie provoquée par cette danse pourrait bien l’emporter.
What will remain secret – souvenirs d’enfance
Sur la scène nue de l’Abri – Madeleine, Auguste de Boursetty et Alex Freiheit débarquent avec un petit synthé qu’iels branchent. Sur les touches, iels posent leurs chaussures, créant le premier accord du spectacle. C’est par le son du synthé qu’iels seront ensuite accompagné·e·s tout au long de leur performance. Un poème en anglais résonne, évoquant les souvenirs d’enfance qu’ils réinterprètent avec leur corps.
Il y a quelque chose de touchant dans leur interprétation. Difficile de comprendre tout ce qui se raconte et se joue, fort heureusement, iels ont eu la bonne idée de déposer le texte sur toutes les chaises du public, en anglais et en français. Mais au final, plus que le propos exact, ce sont plutôt les sensation qui importent. Sur le plateau, iels semblent jouer le rapprochement, la déchirure, la dispute, ce lien fort qui peut se créer, avec l’un qui mène l’autre et inversement, tandis que l’autre cherche à s’éloigner sans parvenir à fuir. Ces sensations, ce sont celles de l’enfance, alors qu’on se construit, qu’on développe nos relations, dans la cour de récré. Dans leurs gestes, il y a quelque chose d’hypnotisant, comme s’iels ne pouvaient pas vraiment se détacher l’un·e de l’autre, à l’instar de notre regard. Ce moment de danse, c’est le récit dont, partant de souvenirs de l’enfance, iels sont devenus des artistes accompli·e·s.
À nous deux ! – questions adolescentes
À Saint-Gervais, c’est l’étape suivante de nos vies qui est mise en question : l’adolescence. Une fois le public assis, Ismaël Attia se tient face à nous, une banane à la main, ne parlant pas pendant plusieurs minutes, provoquant les rires des spectateur·ice·s. Il va finalement s’asseoir sur la chaise placée au fond du plateau et mange sa banane, avec la peau. Partant de cette faim qui nous rend près à manger n’importe quoi, il embraie sur les questions de l’amour et du désir, ces deux sentiments qu’on peine à distinguer durant l’adolescence. Il sera question de la trahison de son meilleur ami et de cette fille qu’il n’a jamais cessé d’aimer.
Dans À nous deux !, Ismaël Attia oscille entre récit de souvenirs, en interprétant une partie – la dimension corporelle de sa performance est d’ailleurs à souligner – tout en questionnant son monde intérieur, de manière plus métaphorique. Il n’en oublie pas non plus de nombreuses touches d’humour, de manière à dédramatiser ce qui semble insurmontable quand on est adolescent. Dans une mise en scène subtile, il montre toute la complexité de ce qui se passe dans nos têtes durant cette période, nos têtes qui sont prêtes à exploser et nous paraissent énormes et lourdes. Une sensation qu’il illustre d’ailleurs au pied de la lettre… À travers ce joli moment, c’est donc une période compliquée d’apprentissage qu’il aborde. Avec cette question terrible : s’en remet-on vraiment ?
Fabien Imhof
Infos pratiques :
rabbia (addo/aldebs/caruso/laneve) : Mardi 5 et mercredi 6 mars, 20h / Jeudi 7 et vendredi 8 mars, 21h / Samedi 9 mars, 14h30 / durée 1h15 / Spectacle en langues anglaise et arabe, surtitré en français.
Création et performance Angie Addo et Angela Aldebs ; Création et mise en scène Savino Caruso ; Création, dramaturgie et production Gilda Laneve ; Costumes et graphisme Isabelle Mauchle ; Support musical Silvan Koch ; Collaboration artistique Vanessa Ferreira Vicente ; Lumière Michael Eigenmann ; Support scénographie Olivia Borkowetz ; Coproduction Südpol (Lucerne) ; Soutiens Promotion sélective du canton de Lucerne, Fonds FUKA, LuzernPlus, Pro Helvetia, Fondation Ernst Göhner, Fondation Landis & Gyr, Fondation suisse des artistes interprètes, Pour-cent culturel Migros, Fondation Monika Widmer ; Remerciements Clara Gil et Linda Magnifico
What will remain secret (Auguste de Boursetty et Alex Freiheit) : Jeudi 7 mars, 19h30 / Vendredi 8 mars, 18h / Samedi 9 mars, 16h30 / durée 30 min
Chorégraphie et interprétation Auguste de Boursetty et Alex Freiheit ; Musique Auguste de Boursetty, Mona Felah et Alex Freiheit ; Costumes Auguste de Boursetty, Alex Freiheit et Martyna Konieczny/no_przesada ; Assistant·es dramaturgie et chorégraphie Collin Cabanis, Mona Felah et Délia Krayenbühl ; Régie son Collin Cabanis ; Production et diffusion Oh la la – performing arts production
À nous deux ! (Ismaël Attia) : Jeudi 7 et samedi 9 mars, 18h / Vendredi 8 mars, 19h30 / Dimanche 10 mars, 16h / durée 35 min
Conception et interprétation Ismaël Attia ; Collaboration artistique Coline Bardin et Raphaël Defour ; Création lumière Robin Dupuis ; Régie en cours ; Administration et diffusion Yolanda Fernandez
Photos : ©Théâtre du Loup (banner), ©Sam Aebi (rabbia), ©Anouk Maupu (What will remain secret), ©Grégory Batardon (À nous deux !)