Le banc : cinéma

Trouver le Tarab et le danser

Sandra Gysi et Ahmed Abdel Mohsen ont suivi la Cie 7273 de Laurence Yadi et Nicolas Cantillon, dans leur périple dans un Caire postrévolutionnaire, pour des recherches autour d’un spectacle qui a ensuite tourné dans le monde entier. Searching for Tarab, un documentaire humain fort en émotions.

Lorsque Laurence Yadi et Nicolas Cantillon se rendent au Caire il y a dix ans, ils tentent de comprendre ce qu’est le tarab. Si ce terme est difficile à définir avec des mots, on pourrait le résumer ainsi : extase évoquée et provoquée par la musique. Leur idée est de retranscrire ce terme propre à la musique dans la danse, pour l’imager et le transmettre d’une autre manière. Un projet que l’on peut qualifier de pharaonique, mais dont le résultat a finalement été à hauteur des attentes. Dans Searching for Tarab, Sandra Gysi et Ahmed Abdel Mohsen reviennent sur le processus qui a conduit à une tournée mondiale, ponctuée par un retour au Caire, pour une fin en apothéose.

Une construction de longue haleine

Avant même de pouvoir envisager le spectacle, il fallait comprendre ce que le terme tarab implique. Il n’y a aucun équivalent dans la langue française, et la première partie du parcours des deux chorégraphes a consisté à récolter des témoignages, à rencontrer des personnes qui ressentent ce tarab et y sont confrontées régulièrement. Le documentaire met ainsi en exergue la dimension profondément humaine du spectacle, qui n’aurait pu avoir lieu sans toutes ces rencontres. De rencontres, il est encore question lorsqu’il s’agit d’imaginer la danse : iels passent ainsi plusieurs mois au Caire, dans une école de danse où tout le monde travaille gratuitement, l’État ayant décidé de ne plus subventionner les projets artistiques. Il faut se débrouiller, investir les lieux autrement, et c’est à une réalité toute nouvelle que se confrontent Laurence Yadi et Nicolas Cantillon. Dernière rencontre importante, celle avec la musique : le spectacle a la particularité d’avoir été créé d’abord sans bande-son. Dans le film, Jacques Mantica décrit comment il a ensuite composé la musique en quelques jours, en voyant la danse et en tentant de comprendre les influences souhaitées par les deux chorégraphes. À la manière de Miles Davis, il s’intéresse ainsi non pas aux notes jouées, mais aux silences créés entre elles, comme un temps en suspension mettant en avant les corps des danseurs et danseuses. Pour un résultat où l’émotion règne.

Une situation géo-politique complexe

En filigrane de la création de ce spectacle se dessine également la situation géo-politique extrêmement complexe de l’Égypte à ce moment-là. Les artistes ne sont pas les bienvenu·e·s durant cette période qui suit tout juste la révolution. Ainsi, après sa création à Genève, le spectacle intitulé Tarab tourne dans le monde entier sans pouvoir être joué au Caire, là où tout a pourtant commencé. Difficile dès lors de ne pas mélanger politique et art, tant l’influence de la situation sur les artistes de tous les milieux se fait sentir. Pour autant, Sandra Gysi et Ahmed Abdel Mohsen ne se servent pas de ce documentaire comme d’un pamphlet politique. Ce n’est pas ce qui les intéresse, et iels se concentrent véritablement sur l’aventure humaine qui a conduit à la construction de ce spectacle. Et si la géo-politique est un élément incontournable, on n’insiste pas sur cet aspect, afin de garder tout le côté émotionnel, presque magique, de ce parcours qui a conduit au spectacle.

Car tout est bien qui finit bien : en 2018, la boucle est bouclée et le spectacle est enfin joué au Caire. Dans ce qui constitue sans doute le climax du documentaire, Laurence Yadi et Nicolas Cantillon expriment leur bonheur d’avoir enfin pu présenter leur spectacle au public cairote. Difficile pourtant de mettre des mots sur les émotions qu’iels ressentent, tant celles-ci sont fortes et indescriptibles. Un joli clin d’œil au titre de leur spectacle, non ?

Searching for Tarab s’inscrit donc comme un petit bijou de documentaire, profondément humain et émotionnel, qui fait beaucoup de bien en ces temps quelque peu troublés…

Fabien Imhof

Référence :

Searching for Tarab, de Sandra Gysi et Ahmed Abdel Mohsen, Égypte-Suisse, 2022, 52 minutes, projeté aux Cinémas du Grütli dans le cadre du Festival International du Film Oriental de Genève (FIFOG)

Photo : © DR

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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