Les réverbères : arts vivants

Un corps-à-corps avec la technique

Rêvons ensemble d’un robot à l’intelligence artificielle. Il se chargerait des tâches ingrates et des histoires de bonne nuit pour les enfants jusqu’à épuisement de ses piles, mais jouirait-il d’amitiés ou du bonheur d’être avec les autres ? Regard sur l’androïde dans Titre à jamais provisoire au Théâtre Saint-Gervais, du 11 au 18 octobre 2018.

Ses prunelles brillantes captent notre attention, tandis que l’on écoute ses pensées, ses plans d’avenir, son histoire d’amour tarie. Tantôt au cœur d’une forêt onirique, tantôt dans un laboratoire à la pointe des découvertes scientifiques, cette jeune femme s’ouvre à nous et nous confie une intimité jusqu’alors inconnue. Elle est en effet mi-humain, mi-robot et tente de partager ce que ses codes lui dictent. Elle aimerait que ses micro-processeurs ressentent et palpitent, elle souhaiterait connaître le doux parfum de l’émotion, qu’il soit âpre ou magique.

Elle nous rappelle qu’en moins de dix mille ans, l’homme aura été homo sapiens, au contact de la mousse sur les troncs d’arbre, arpentant les forêts à la recherche de nourriture, et aussi homme supplanté sous peu par les clones, se laissant guider par la technologie et nourrir par des substituts –  une réalité relevant finalement de moins en moins du domaine utopique. Les hommes, qui entourent cette androïde en quête d’humanité, semblent esseulés, presque défigurés par leur pulsion d’aller toujours plus loin dans le règne de la non-matière.

Notre androïde, commun à tous dans notre réalité – parce qu’il est fort possible que tous soient bientôt secondés par une femme – ou un homme-robot – se réfère, dans la pièce, souvent à ses amis biologiques, notamment à celle qui lui a, généreusement, offert un utérus à greffer, comme si tout se prêtait à la composition et recomposition technique. Mais c’est la lutte, son corps le rejette et l’empêche donc d’enfanter, clouant ainsi l’espoir d’apprendre à aimer et à choyer son enfant. Rien ne vient effacer cette impression de froide artificialité et les efforts de Miss Robot restent vains.

Si les loups connurent une évolution plus clémente, partant de l’animal sauvage pour aboutir à l’animal de compagnie, ami intime, Miss Robot, pour sa part, reste en dehors du foyer familial, loin des êtres vivants.

Chacun des cinq comédiens se laisse aller tour-à-tour à ses traits robotiques ; d’autre part… qu’importe notre résistance, il est vrai, le robot fait déjà corps avec notre existence. Mais il est plaisant de l’accueillir avec humour. Qu’il s’agisse d’un visage gommé par le programme Photoshop ou de leur déplacement sur roulettes électriques, ils nous font frémir et titillent à la fois notre propension à l’autodérision.

Guillaume Béguin a monté Villa Dolorosa et Extase & Quotidien[1] en 2015 et semble s’intéresser de près à ce qui, en voulant accroître notre bien-être, modifie d’une façon plutôt négative notre rapport à la réalité. A l’instar de cet homme égotique qui, dans Extase & Quotidien, nourri aux appropriations culturelles d’autres pays, s’enferme petit à petit dans sa tour d’ivoire en célébrant la Fête des Morts.

Dans cette pièce, dont le titre sera à jamais provisoire, Béguin n’oriente pas nos opinions sur nos nouveaux compagnons androïdes, il construit bien plus un terrain où viennent s’entasser nos réflexions les plus diverses. Il montre des personnages troublés par le passage d’une réalité à l’autre, celle du monde de la scène au monde réel ou celle du robot au monde connu de tous les spectateurs. Ainsi apprenons-nous de la bouche des comédiens qu’il leur arrive de se montrer maladroits et que cela sera soulevé par la critique. Et pourquoi pas sourire à Miss Robot qui avoue avoir confondu son public avec une bande d’ados déchaînés ?

Dans cet univers, bercés de rêves et de visions futuristes, il nous manque toutefois comme un déclic, qui bousculerait le rythme parfois un peu lent et redondant de la pièce. Une preuve rassurante pour un public encore ancré dans le temps au contraire de son double automate.

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

Titre à jamais provisoire au Théâtre Saint-Gervais, du 11 au 18 octobre 2018.

Texte et mise en scène : Guillaume Béguin, avec l’équipe artistique

Avec Tiphanie Bovay-Klameth, Lou Chrétien-Février, Lara Khattabi, Pierre Maillet et Matteo Zimmermann

Photos : © Julie Masson

[1] Pièces de Rebekka Kricheldorf.

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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