Le banc : cinéma

Un marais comme la vie

Adaptation du roman de Delia Owens, Là où chantent les écrevisses est sorti sur nos écrans en 2022. Ce thriller dramatique un peu à part dans le genre nous plonge dans la psychologie humaine, avec un rapport nouveau entre la nature et nos vies, et le marais comme métaphore filée de la trame de ce film bouleversant.

Kya (Daisy Edgar-Jones) vit seule dans les marais, ce qui lui vaut pour surnom « La fille des marais ». Accusée du meurtre de Chase Andrews (Harris Dickinson), avec qui elle a entretenu une relation amoureuse, la jeune femme s’en défend. Le film se développe alors sur plusieurs temporalités, présentant en parallèle l’enfance et l’adolescence, jusqu’à la mort de Chase, et son procès, qui prend de plus en plus de place au fil du film. Une manière de nous offrir un double éclairage sur l’histoire, qui pourrait bien nous perdre au lieu de nous aider à faire la lumière sur la vérité…

De la lumière…

« Un marais n’est pas un marécage. Un marais est un lieu de lumière où l’herbe pousse dans l’eau et l’eau s’écoule dans le ciel. » C’est par ses mots, prononcés par Kya, également narratrice de l’histoire, que débute Là où chantent les écrevisses. Au début du récit, on pourrait penser que le côté dramatique va prendre le dessus : Kya a été abandonnée, d’abord par sa mère qui ne pouvait plus supporter un mari violent ; puis par ses frères, bien décidés à faire leur vie ailleurs ; par son père enfin, pour des raisons mystérieuses. Alors qu’elle n’est pas scolarisée – sa seule tentative s’étant soldée par des moqueries de la part des autres enfants – Kya continue de vivre seule dans les marais, d’où son surnom. Pour survivre, cette experte des coquillages vit du commerce de moules qu’elle pêche et revend à Jumpin (Stirling Macer Jr), un commerçant local.

Pour autant, le début du film n’est pas fataliste, ni particulièrement triste : bien vite, Kya rencontre Tate (Taylor John Smith), de qui elle tombera éperdument amoureuse. C’est lui qui lui apprendra à lire et écrire, l’encourageant constamment, jusqu’à la pousser à écrire une encyclopédie sur les crustacés de la région. Ces moments de liesse sont soutenus par le magnifique travail de l’image de Polly Morgan, qui amène à la réalisation d’Olivia Newman une profondeur qu’il faut souligner. Les marais, que l’on imagine comme sombres, s’avèrent particulièrement lumineux et pleins de vie, comme s’ils étaient le reflet de l’état intérieur de Kya. Alors, quand Tate ne tient pas sa promesse de revenir et de la retrouver sur sa plage le soir du 4 juillet, c’est un nouvel abandon duquel il sera plus difficile de se remettre…

… aux ténèbres

« Mais au sein des marais, ici et là, se trouvent de vrais marécages. » C’est ainsi que se conclut la citation d’ouverture du film, nous donnant une première indication que, même dans la lumière, la noirceur peut trouver sa place. Kya présente ces deux faces. Si elles existent sans doute en chacun·e de nous, rares sont les êtres chez qui elles sont aussi marquées que chez Kya. À cet égard, sa rencontre avec Chase s’avère particulièrement intéressante. D’abord méfiante, après la déception vécue avec Tate, elle finit par entretenir une relation amoureuse avec Chase. Mais rapidement, ce dernier devient violent et finit par la trahir. Le mobile est tout trouvé pour l’accuser du meurtre.

Pourtant, avec tout ce qu’elle a vécu et la lumière qu’elle a dégagée jusqu’ici, on ne peut s’empêcher d’avoir des doutes. Le procès, éclairé par les souvenirs de Kya, prend une tournure complexe, et on oscille toujours entre l’envie de la croire innocente et les doutes qui nous assaillent. Comme si, dans la lumière du marais, les sombres marécages cachaient un secret inavouable…

Happy-end ou révélation tragique ? On vous dira simplement qu’il y a un peu des deux, mais peut-être pas de la manière à laquelle on peut s’y attendre. C’est aussi ça qui fait la force de ce film : parvenir à nous surprendre jusqu’à la dernière seconde. Et on ne résiste pas, pour conclure et vous donner encore plus envie de visionner Là où chantent les écrevisses, de vous citer les dernières paroles de Kya, rédigées dans son cahier : « Je suis le marais à présent. Je suis la plume de l’aigrette. Je suis chaque coquillage échoué sur le rivage. Je suis la luciole. Vous en verrez des centaines clignoter dans l’obscurité profonde du marais. Et c’est là que je serai toujours. Loin, là-bas, là où chantent les écrevisses. »

Fabien Imhof

Référence :

Là où chantent les écrevisses, adaptation du roman de Delia Owens, réalisé par Oliva Newman, États-Unis, 2022.

Avec Daisy Edgar-Jones, Harris Dickinson, Taylor John Smith, Stirling Macer Jr, Michael Hyatt, David Strathairn, Jayson Warner Smith, Ahny O’Reilly, Joe Chrest…

Photos : © Sony Pictures

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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