Les réverbères : arts vivants

Quand Giselle… rencontre Giselle

Dans son projet triptyque, François Gremaud s’intéresse à de grandes héroïnes de théâtre, d’opéra et de ballet. Après la flamboyante Phèdre!, découvrez la virevoltante Giselle…, qui était de passage à Neuchâtel, pour sa 100ème, en collaboration avec l’ADN, au Théâtre du… Passage !

Giselle, ou les Wilis c’est l’archétype du ballet romantique, le Graal pour toute danseuse classique. Composé par Adolphe Adem, sur un livret signé Jules-Henry Vernoy de Saint-Georges et Théophile Gautier, ce ballet en deux actes raconte l’histoire de Giselle, une jeune paysanne, amoureuse d’Albrecht, qui lui a juré fidélité et lui a surtout caché être en réalité le duc de Silésie, et déjà fiancé ! Hilarion, le garde-chasse, qui aime Giselle, l’apprend… Et alors que Giselle danse, elle n’écoute pas les mises en garde de sa mère face aux wilis, ces jeunes filles transformées en danseuse pour avoir trop dansé. Dans le second acte, après avoir appris la véritable identité de son amant et en être tombée raide morte, Giselle lutte contre Myrtha, la reine de wilis, qui tente d’obliger Hilarion et Albrecht à danser jusqu’à en mourir… Ça, c’est pour l’histoire de Giselle.

Quant à Giselle…, il s’agit de Samantha van Wissen, accompagnée de quatre musicienne, dans une « façon de comédienne-danseuse[1] » qui raconte illustre l’histoire de Giselle. En réalité, à travers sa narration, elle ne fait rien d’autre que danser véritablement ce ballet, de manière verbalisée.

Noces entre classique et contemporain

Le plateau est presque nu : un tapis de danse blanc, une chaise, et les quatre musiciennes tout en noir, en fond de scène. Quand Samanta van Wissen nous décrit les décors originaux, on prend vite conscience que cela n’a rien à voir : il faut imaginer une forêt, des montagnes, deux maisons, un banc, puis un cimetière dans le second acte… on vous passe les détails, mais on constate déjà un premier contraste entre les deux spectacles, tout en soulignant l’extrême pouvoir de suggestion de Samantha van Wissen, qui donne à voir ce décor grandiloquent dans la tête de chacun·e des spectateur·ice·s présent·e·s.

Dans ses premières explications, à grands renforts de gestes omniprésents que d’un côté, il y a le spectacle romantique et de l’autre, le contemporain. Elle agira comme un pont entre les deux. Ce mariage se fait d’abord par les mots, alors qu’elle raconte l’histoire de Giselle, détaillant chaque scène et mouvement de chorégraphie pour l’expliciter. Le tout avec un humour débordant et de nombreuses allusions à la pop-culture : voici que sont tout à coup conviés les Sunlights des tropiques ou Les démons de minuit. Tout en explicitant les mouvements, elle les rejoue, les interprète, en partie du moins. De quoi mêler le contemporain et le classique de manière particulièrement subtile.

Suggérer pour donner le goût du ballet

Quand on est, comme moi, très peu initié au ballet, et à la danse classique en général, on peut, de prime abord, se dire que deux heures de spectacle, cela va être long. Pourtant, avec toute la force de suggestion, par les mots et les gestes, Samantha van Wissem fait de ce moment un immense plaisir dont on ne se lasse pas. Elle inverse ainsi le procédé du ballet classique : alors que les gestes racontent l’histoire à l’origine, elle choisit ici de les expliciter, sans oublier de parler du décor. Elle rend ainsi parfaitement accessible un objet qui peut d’abord paraître hermétique. Mais attention, chaque mot choisi, chaque note jouée, chaque mouvement est toujours de qualité. Pas question ici de simplifier ou de vulgariser au sens péjoratif du terme. Elle raconte tellement tout qu’on a l’impression de voir la Giselle originale, dans son univers grandiloquent.

En évoquant les nombreux « highlights » du spectacle – plus cela avance, plus on a l’impression que tout est un « highlight » – elle illustre à quel point il a marqué son époque. À travers lui, elle glisse quelques anecdotes sur l’histoire du ballet, les différentes influences de Giselle, mais aussi quelques réflexions plus actuelles, autour du féminisme notamment, dans des répliques toujours emplies d’humour. Un véritable tour de force ! Tellement qu’on a envie de découvrir le ballet original. On ne résiste d’ailleurs pas à l’envie d’aller visionner Natalia Makarova, dans ce qui constitue l’une des démonstrations de danse les plus emblématiques de sa génération. Allez, pour le plaisir, on conclut en vous laissant la vidéo :

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Giselle…, de François Gremaud, d’après Giselle, d’Adolphe Adem, Théophile Gautier et Henri de Saint-Georges, au Théâtre du Passage, en collaboration avec ADN – Danse Neuchâtel, le 29 octobre 2023.

Mise en scène : François Gremaud

Avec Samantha van Wissen

http://danse-neuchatel.ch/2023/giselle/

Photos : © Dorothée Thébert Filliger

[1] Selon le livret.

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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