Pastiche : Chemin et cigarette
Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !
La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !
Aujourd’hui, c’est Lucile Senglet qui prend la plume. Elle nous invite dans un pastiche… à vous d’en découvrir l’auteur ou l’autrice d’origine ! Bonne lecture !
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Chemin et cigarette
Je sors aux alentours de vingt-deux heures. C’est généralement à cette heure-là que je sors, parce que je n’arrive pas à écourter les monologues interminables de Barbara. Elle fume, elle boit du vin et elle parle, sans relâche, presque sans reprendre son souffle, tous les soirs, assise en training dans son salon. Un peu fatiguée de l’écouter, je sors, je suis contente d’être seule. J’aime bien être seule.
Je pense que ce soir-là je sors vers vingt-deux heures. Le froid mordant. Moi aussi je fume sur le chemin. Une sale habitude qui a perduré. Je suis emmitouflée dans mon manteau, celui que je porte tout l’hiver. Trop grand, chaud, rassurant. Barricade contre le monde extérieur. Quand il est devenu absurdement chaud pour le début de l’automne, je l’ai donné à ce garçon, avec un petit mot. Je n’ai jamais su s’il avait été perdu dans la doublure trouée de la poche. Je m’en fiche.
La rue qui monte, tous les soirs la même chanson. Une cigarette sur le chemin. Le reste du trajet, mon souffle fait de la buée. Le claquement de mes pas par terre. Cette cigarette, elle lui donne confiance, de la contenance. Toujours, quand elle fume elle se sent libre. Libre d’utiliser son temps et son argent pour quelque chose de totalement inutile. Néfaste et tellement chère. Contreproductif, pour une fois. J’aime mieux fumer toute seule. Ça me donne un fragment de temps ou je ne fais rien que d’apprécier l’image de la clope qui brûle, du foyer orange, de la fumée qui monte. Le goût âpre du tabac dans la bouche. La tête qui tourne, de moins en moins. Les jambes légères.
Après la marche revigorante, elle arrive dans le bar, ou elle va boire un verre seule. Ecrire dans son carnet ce qui lui arrive, ce qu’elle pense, pour elle-même. Un langage incompréhensible pour le reste de l’humanité, des sensations qui lui sont propres. Des évènements, des sentiments pêlemêle, tous trop nombreux pour être complètement retranscrits. Peur de perdre la mémoire. Elle court après le temps, frustrée. Elle est seule et elle se trouve courageuse. Grande, pour la première fois.
Lucile Senglet
Photo : © Basil MK