Les réverbères : arts vivants

Un petit pas vers la réalité

Un bon de géant dans l’imaginaire – Quand je serai grand de Vincent Jacquet par la Compagnie Sixième Art au Théâtre Pitoëff jusqu’au 18 février, puis à Lausanne au Pulloff du 28 mars au 6 avril 2023.

Ce spectacle possède plus qu’un décor. Il présente un univers qui s’est arrêté dans les années soixante à la campagne et qui emballe la vie de tous les jours d’une femme et de son fils : épluchage de pomme de terre, tâches ménagères, repas à deux. La vie d’avant mais avec un ordinateur.

Sur scène, symbole de cette époque : la 4L, voiture mythique de la marque au losange, dans un garage un peu bordélique. En face, une cuisine, une chambre, le tout dans un mobilier fixé dans le temps de l’ORTF et du formica. L’ordinaire des pauvres gens que chantait Léo Ferré se déroule sans relief, filmé par un réalisateur de documentaire (Jean-Jacques Rouvière) avide de personnages originaux, à la manière de l’émission Strip-tease.

C’est là que vivent Didier, un vieux garçon de cinquante ans (Vincent Jacquet), et sa mère, toujours un châle sur les épaules. Lui, il rêve comme beaucoup de mômes en se disant : « Quand je serai grand, je serai là-haut dans l’espace ! »

Grand, son corps l’est déjà, son esprit quant à lui n’a pas suivi les années. C’est un personnage touchant que nous présente avec générosité Vincent Jacquet, qui évite dans son jeu le piège du pathos en plaçant dans son interprétation un juste réalisme qui par ses gaucheries fait sourire le public. Engoncé dans son corps, dans son quotidien, Didier veut plus et se lance dans le vertige de la conquête de l’espace.

Face à lui, il y a la réalité, le raisonnable, qu’importe ! Didier prend le train, direction Toulouse, où l’Agence Spatiale Européenne recherche des candidats. Le réel est tellement plus fort. L’ingénieur-en-chef parle de science à celui qui ne parle que de rêve. Ici, ce serait sagesse que de renoncer. Didier n’a que sa simplicité pour réussir.

Alors, il fuit son quotidien et se réfugie chez un cousin maudit, tapeur de tôle de son état. Jean-Jacques Rouvière interprète avec bonheur tous les personnages satellitaires de l’univers de Didier, en parfait renvoyeur de balle. À noter sa très fine et sensible interprétation du personnage de la mère.

Chaque situation présentée nous entraîne dans la quête des choses perdues d’avance, dont on se prend à rêver qu’elles puissent fonctionner tout de même. Une sorte de peur que viendrait soulager l’espoir de la réussite. La mise en scène est réfléchie, précise et virevoltante d’imagination et de surprises. Ici, la technique sous forme de led et de beamer, si souvent présente dans les spectacles est totalement au service de l’imaginaire du public.

Puis le rêve a lieu dans ses rêves. Sur scène, Didier porte les mêmes gestes que l’équipage d’Appolo 11 dans les derniers préparatifs : tenue, gants, casque, et monte dans la 4L de la Nasa. Décollage, vol en apesanteur… un clin d’œil à 2001 et Stanley Kubrick – et après trois petits tours, la réalité s’impose.

Didier a cessé de poursuivre son rêve. Il a choisi la sagesse en préférant une licence de tracteur à une licence de vol, ce qui le rend heureux. L’image d’une vie réussie obtenue non par renoncement, mais en choisissant son bonheur dans un réel qui n’a jamais rien promis à quiconque.

À l’issue du spectacle, on est joyeux de voir que Didier a trouvé sa place dans ce monde, mais on s’interroge sur la nôtre et l’on souhaite que chacun trouve la sienne, gage d’une vie réussie.

Jacques Sallin

Infos pratiques : Quand je serai grand de Vincent Jacquet au Théâtre Pitoëff jusqu’au 18 février, puis à Lausanne au Pulloff du 28 mars au 6 avril 2023.

Mise en scène : Vincent Jacquet

Avec  Vincent Jacquet, Jean-Jacques Rouvière

Photos : © Compagnie Sixième Art

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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