Les réverbères : arts vivants

Tout un monde… dans une boîte : Mes nouvelles chaussures, au TMG

Du 9 au 19 février, le TMG prend des allures d’enfance… et de boîte à chaussures. Bienvenue dans le village natal du petit Tracalet, où les enfants reçoivent chaque année une nouvelle paire de chaussures. Pièce tendre et émouvante, Mes nouvelles chaussures oscille entre tradition, conte et nostalgie, pour nous apprendre à grandir.

Aujourd’hui est un grand jour ! Tracalet, le héros de notre histoire, rend visite à sa tante. Comme chaque année, il reçoit à l’approche de l’hiver un cadeau très particulier : une paire de chaussures neuves, qu’il enfile aussitôt. Mais ce n’est pas tout ! Dans la boîte désormais vide, la tante de Tracalet a déposé une succulente pâtisserie : à lui d’aller la déguster au bord de la rivière afin de célébrer l’année qui vient de s’écouler…

Si l’histoire s’arrêtait là, ce serait trop facile. La tante de Tracalet le met en garde : sur le chemin de la rivière, il devra faire attention lorsqu’il croisera Grognon (un voisin toujours de mauvaise humeur)… et être bien prudent en traversant les sables mouvants ! Il lui faudra aussi ouvrir grand ses yeux afin d’admirer les merveilles cachées entre les roseaux… et ne pas oublier de saluer, au passage, les joyeux musiciens qui vivent tout près de l’eau. Muni de ces bons conseils, ni une, ni deux, Tracalet se met en route.

Une odyssée d’apprentissage

La tradition qui inspire Mes nouvelles chaussures, c’est celle qui avait vraiment cours dans le village d’enfance du marionnettiste Tian Gombau. Seul en scène, ce dernier insuffle vie et poésie à cette histoire. Entre ses mains, le personnage de Tracalet va traverser les mêmes joies et les mêmes épreuves que celles qu’il a lui-même expérimentées quand il était enfant. Au début, tout commence bien : la joie de recevoir le cadeau, l’impatience de se rendre à la rivière, la curiosité devant les étapes du parcours… on suit Tracalet avec l’eau à la bouche – car après tout, une fois arrivé à bon port, il s’agira de déguster le gâteau que renferme la boîte à chaussures !

C’est sur le chemin du retour, quand l’horloge du village sonne l’arrivée du soir, que tout commence à se gâter. L’escapade aventureuse est finie, la peur avance à pas de loup tandis que tombe la nuit. Pour retourner chez lui, Tracalet doit affronter en sens inverse des épreuves qui, quelques heures plus tôt, semblaient bien amusantes. Il apprend ainsi à grandir, retenant ainsi la leçon fondamentale de cette histoire : le temps qui passe nous apporte de l’expérience. Devenu adulte, Tracalet (ou plutôt Tian Gombau) n’oublie pas cette odyssée d’apprentissage – et lorsqu’il ouvre une nouvelle boîte à chaussures, c’est un peu de l’enfance d’antan qui ressurgit en lui.

Cinema Paradiso à la Proust

Il y a quelque chose qui touche à notre fibre la plus intime, dans Mes nouvelles chaussures. Car même si on n’a pas connu soi-même une tradition pareille à celle du village de Tracalet, on ne peut s’empêcher de se souvenir de notre propre enfance – avec ses monstres cachés sous le lit, ses trésors dissimulés derrière des roseaux (ou dans une boîte à chaussures), ses mille et unes aventures qu’on se racontait à soi-même. Et ça tombe bien, puisque la pièce s’adresse à un très jeune public (dès 3 ans).

Avec son regard doux et ses gestes légers comme les ailes d’un oiseau, Tian Gombau m’a rappelé la mélancolie et la joie de vivre d’un film de mon enfance – un de ceux que je regardais avec mon père : Cinema Paradiso, réalisé en 1988 par Giuseppe Tornatore. J’y ai retrouvé la même tendresse que celle qui animait les souvenirs du héros, Salvatore Di Vita, lorsqu’il revient dans son village natal de Sicile après la mort de son ami Alfredo, un vieux projectionniste avec lequel il s’était jadis lié d’amitié. Mes nouvelles chaussures et Cinema Paradiso ont en commun ce que possèdent les œuvres artistiques qui m’ont le plus marquée : le sentiment, étrange, de ne pas vraiment savoir si elles me rendent heureuse – ou bien triste. Et, rien que pour cela, j’aimerais remercier Tian Gombau.

L’affection que j’ai aussitôt ressentie pour l’histoire de Mes nouvelles chaussures et pour le petit monde de Tracalet tient également dans la manière dont ce petit monde se construit – avec une simplicité toute poétique. Quoi de mieux, en effet, pour parler de chaussures et d’enfance, que de déployer un imaginaire… juste à partir de boîtes de chaussures ? Le village de Tracalet naît ainsi de ces boîtes, qui s’empilent les unes aux autres : ici, l’église, avec son clocher qui sonne… là, le balcon de la tante, tout fleuri de géranium… plus loin, le bateau des musiciens, qui vogue sur des vagues figurées par un clavier de piano qui ondulent… Ce monde apparaît, avec une économie efficace de moyens qui ne laisse rien au hasard : juste quelques boîtes, pour ouvrir tout un monde. C’est un peu comme regarder dans la tasse à thé de Proust : soudain, on voit Combray qui se déploie dans le souvenir du narrateur – comme un étrange origami déplié, porté par la mémoire.

Et que dire de Tracalet lui-même, cet enfant dont on n’aperçoit que les mollets et les pieds chaussés, qui dépassent de la boîte à chaussures ? Il marche, saute, s’amuse, a peur… et on comprend tout de ce qu’il ressent, de ce qu’il espère – on se projette en lui. Lui aussi devient la porte ouverte à notre rêverie.

Vous l’aurez compris : Mes nouvelles chaussures est une pièce à voir – et à revoir. Même si, pour s’y rendre, on n’enfile pas forcément des chaussures neuves. Merci.

Magali Bossi

Infos pratiques :

Mes nouvelles chaussures, de Jordi Palet i Puig et de la Cie L’Home Dibuixat (Espagne), au Théâtre de Marionnettes du 9 au 19 février 2023.

Mise en scène : Jordi Palet i Puig

Avec Tian Gombau

https://www.marionnettes.ch/spectacle/269/mes-nouvelles-chaussures

Photos : © Cie L’Home Dibuixat

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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