Les réverbères : arts vivants

Suivre le vent pour lâcher prise

Durant quatre soirées, Phia Ménard propose son nouveau solo autour des couches derrière lesquelles nous nous cachons, à grands renforts de matière plastique. VORTEX est à voir au Pavillon ADC jusqu’au 17 février.

Vortex : « Tourbillon creux qui prend naissance dans un fluide en écoulement », d’après la définition du Larousse. Voilà donc un spectacle comparable à une tornade, avec tout ce que cela implique de déconstruction, d’anormal, voire même de surnaturel. Le tourbillon dont il est question ici est aussi celui de la vie, avec tous ses aléas. Pour y faire face, on se cache toutes et tous sous des couches, parfois oppressantes et étouffantes, mais qui nous aident à nous protéger de notre environnement. Dans VORTEX, Phia Ménard a choisi de symboliser ces couches par une matière plastique, comme un clin d’œil à notre société qui en use et en abuse.[1]

Se protéger…

Lorsqu’on entre dans la salle du pavillon ADC, on découvre une disposition inédite : Trois rangées de gradins sont disposées en rond autour de la scène circulaire, laquelle est entourée de ventilateurs. Au fond de celle-ci, Phia Ménard, méconnaissable, est assise, devant elle trônent trois sachets plastiques, une paire de ciseaux et un rouleau scotchs. Si elle est aussi méconnaissable, c’est qu’elle est vêtue d’un costard cravate, la tête surmontée d’un chapeau et recouverte de bandages, comme quelqu’un qui voudrait préserver son anonymat ou aurait été brûlé peu de temps auparavant. Mais ce qui frappe aussi, c’est son volume : sous le costume, des couches de plastique la rendent comme obèse, et elle semble d’ailleurs avoir du mal à se mouvoir pendant la première partie du spectacle.

Tout commence donc avec… des découpages de sacs plastiques ! Méticuleuse et simplement accompagnée d’un son aigu à intervalles réguliers – on pense à un sonar – on peine dans un premier temps à comprendre de quoi il est question. Bien vite, les sachets se transforment en un petit personnage, qui semble danser grâce aux ventilateurs qui l’entourent et à celui, invisible, au centre de la scène, qui créera le fameux VORTEX. Bientôt rejoint par deux, puis trois, puis une dizaine d’autres personnages, les voilà qui dansent dans le vent, accompagnés d’une musique légère faisant penser à un vieux film en noir et blanc. Le moment est féérique.

On se questionne alors sur le costume : nous raconterait-on qu’il figure le visage public de chacun·e d’entre nous ? Une visage qui présente bien, mais ne reflète pas véritablement notre personnalité. On pense pouvoir répondre par l’affirmative lorsque les émotions commencent à sortir, et principalement la colère. Dans la pénombre, Phia Ménard se bat avec les personnages en plastique, et alors qu’elle enlève son costume, c’est un personnage sombre qui s’offre à nous. Et elle devra se débattre longuement pour s’en défaire et retrouver la blancheur de la couche qui se trouve encore en-dessous.

… avant de se libérer

La suite sera un subtil va-et-vient entre cette couche blanche, plus pure et libérée, et la noirceur de la couche précédente. Et alors qu’elle semblait enfin libre, c’est de l’intérieur d’elle-même que rejaillira la masse sombre et informe, dans ce qui constitue sans doute le climax du spectacle. L’énorme morceau de plastique virevolte au gré des ventilateurs, et l’esthétique rappelle Stranger Things et ses affreux monstres. Alors, une autre réflexion nous vient : et si la couche sombre n’était pas seulement sur nous, mais bien ancrée en nous. Une forme d’intériorisation, qui nous dirait que l’on vit toujours avec cela en nous. La colère et d’autres émotions ne demanderaient alors qu’à sortir. C’est nous qui la provoquons et la portons, et chacun·e l’appréhende et la gère différemment. Mais lorsqu’elle sort, bien souvent, elle nous dépasse, et il devient difficile de lutter.

VORTEX se présente pour moi comme une forme de mue, jusqu’à une mise à nu qui doit conduire à l’apaisement. C’est une invitation à partager, à être ensemble, en témoigne le bref discours de Phia Ménard à la fin de la représentation. Ce spectacle évoque sans véritablement dire, et chacun·e y interprétera sans doute un peu de lui ou d’elle. Mais il ne laisse pas indifférent et nous rappelle que les corps peuvent en dire parfois autant que les mots. Car c’est bien de corporalité dont il est question ici, comme si tout nous était raconté de corps à corps, pour le ressentir avec les tripes.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

VORTEX, par la Compagnie Non Nova, au Pavillon ADC du 14 au 17 février 2023.

Direction artistique, chorégraphie et scénographie : Phia Ménard

Dramaturgie : Jean-Luc Beaujault

Avec Phia Ménard

https://pavillon-adc.ch/spectacle/cie-non-nova-2023/

Photos : © Jean-Luc Beaujault

[1] Un sujet déjà central il y a quelque temps au Grütli, dans Mer plastique : https://lapepinieregeneve.ch/interroger-le-paradoxe-du-plastique/

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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