Les réverbères : arts vivants

Un regard caustique sur les facettes des travers du genre humain

15 juin, dernière et troisième pièce du festival de La Tour Vagabonde, sur les planches du théâtre éphémère shakespearien, sis au parc Trembley. Le Dieu du carnage de Yasmina Reza débute avec du retard suite aux violentes intempéries qui ont sévi à Genève, cet après-midi là.

On ne peut s’empêcher de dresser un parallèle entre les branches des arbres qui jonchent le sol, les inondations dans les rues et l’atmosphère électrique dans laquelle la pièce va évoluer.

 Tolérance policée et bienveillance

Décor minimaliste pour ce huis-clos ; un salon composé d’une table basse en bois, quatre  fauteuils en cuir bruns, deux livres d’art posés sur la table, un bouquet de tulipes. Les deux couples sont assis dans le salon de la famille Houillé, où règne un climat caustique. « Dans un square paisible, le jeune Ferdinand Reille frappe à coups de bâtons son camarade d’école Bruno Houillé (…) ». Une discussion s’en suit. Bienveillants et conciliants dans un premier temps, les deux couples tentent de tenir un discours commun de tolérance policée, formules de politesse, silences et malaise commun. Alain, (Vincent Bonillo) est un avocat hautain et cynique, spécialisé dans la pharma, époux d’Annette (Carine Barbey), une bourgeoise conseillère en patrimoine, que l’on sent extrêmement tendue. Michel, (Valentin Rossier), un grossiste désabusé, est l’époux de Véronique, (Marie Druc), une écrivaine qui s’implique dans la défense des droits de l’homme.  Le papa de Ferdinand reçoit des appels téléphoniques de son collègue pour traiter une affaire urgente de médicaments qui tourne mal. Les sonneries de téléphone se succèdent et rythment la pièce. Elles ont le don d’exaspérer Annette.

Lâcheté et railleries versus valeurs humaines et portée éducative

Véronique raconte aux invités comment Michel son mari a exclu de la vie de leur fille, son animal de compagnie, un hamster. Il a menti à sa fille en disant que le hamster avait disparu. Annette le trouve sans cœur, odieux. Elle le questionne sur son attitude. Plus loin, le téléphone portable de Véronique sonne, c’est sa fille. La mère se montre rassurante, se rendant complice de son époux et mentant en concordance à sa fille, sur la disparition du hamster.

Les deux hommes en viennent à parler de leur profession : Alain se gausse du métier de Michel, le dénigre, comme il le fera également pour celui de son épouse en haussant les yeux et également, vis-à-vis des convictions humanistes que revendique Véronique. Les quatre protagonistes dégustent un clafoutis, Michel critique la cuisine de sa femme. Puis les reproches s’adressent à la gent féminine en général. Alain opte pour une attitude démissionnaire, en parlant du rôle de père et de mari, de père qui s’est perdu dans sa mission éducative envers son fils et qui n’attend plus rien de sa relation conjugale. Il se déresponsabilise à l’égard de ses clients, la même attitude qu’il a adoptée avec les siens. Un homme cynique, sans éthique, qui fait fi de ses devoirs envers la société, qui ne daigne montrer de respect à aucun être humain.

Véronique et Michel se disputent à propos de l’animal. Michel traite sa fille de 9 ans de morveuse et se moque des valeurs de sa femme. Il se dit pondéré puis perd son self contrôle et s’agite davantage sur sa chaise. Véronique part en pleurs. Elle est en plein psychodrame.

Les divergences d’opinion de chacun ôtent toute tentative de régler le litige de manière sensée et raisonnable. Au final, les adultes vont se comporter de manière encore moins adéquate que leurs enfants et en profiter pour régler leurs comptes respectifs. Chaque personnage se positionne l’un contre l’autre. Assez rapidement, les beaux discours vont laisser leur place à la sournoiserie des mots prononcés, à leur, au cynisme et à la moquerie… un combat verbal sans merci teinté de sarcasmes. Les vrais visages se dévoilent peu à peu, les masques tombent, les failles de chaque personnage apparaissent et la situation dérape progressivement. Cette tragicomédie dénonce le pathétisme de nos codes de vie, au détriment des valeurs humaines.

Les déboires du mariage, les valeurs de chacun, la fuite dans l’alcool… les masques tombent

Véronique mentionne le négativisme de son mari, pesant au quotidien. Michel lui, déplore   la terrible épreuve que Dieu exige de l’homme en matière de vie de couple. Il lie leur vie conjugale au drame que vient de vivre leur fils, Bruno. Véronique se lève et va frapper son mari. Le téléphone de l’avocat sonne  à nouveau, Annette, saoule et épuisée, lance l’appareil  dans le vase. Alain ne pipe plus mot. Aucun des protagonistes ne réagit. Rires. Annette pousse un cri de victoire, elle se sent libérée par son geste. Michel, cynique, fait remarquer que l’alcool aidant, le vrai visage de chacun apparaît. Et Alain rétorque que »ce qu’il aime chez les femmes c’est la sensualité, la folie, les hormones, (…). C’est alors qu’Annette agrippe les tulipes, les frappe avec virulence contre la table basse. Silence. Chacun règle ses comptes envers son partenaire de vie à tour de rôle.Yasmina Reza décrit cette métaphore : (…) « En associant les éléments scéniques, je m’imagine une peinture de Hooper qui se métamorphose en une œuvre de Bacon ». Elle démontre clairement que les adultes de par leur attitude, ne se comportent pas de façon plus mature que leur progéniture et que la pulsion animale en chacun de nous se manifeste autant chez les enfants que chez les adultes.

Cette farce sans issue s’achève brutalement comme un couperet de guillotine et le public reste avec ses interrogations. L’être humain est-il fait pour socialiser avec tout un chacun et dans n’importe quelles circonstances ? Les règles de savoir-vivre devraient-elles être identiques pour tous et à quel niveau ? L’éducation n’est-elle pas en opposition avec la vraie nature de l’homme ?  À méditer…

Valérie Drechsler

Infos pratiques :

Le Dieu du carnage, d’après Yasmina Reza, du 4 au 20 juin à la Tour Vagabonde (Parc Trembley)

Mise en scène : Georges Guerreiro

Avec Vincent Bonillo, Carine Barbey, Marie Duc et Valentin Rossier.

Photos : © Carole Parodi

Valérie Drechsler

Le cœur et l’esprit de Valérie vibrent au rythme des découvertes de créations artistiques ; théâtre, danse, musique, cinéma, beaux-arts. Née dans le monde culturel, elle a étudié les arts, y travaille et cultive cette richesse qui sans cesse appelle à être renouvelée.

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