Un rêve d’ado
Sur un cauchemar d’enfant – À Merveille – par la Cie d’un instant – Casino Théâtre de Rolle – c’était à voir le 24 janvier 2025.
Le conte d’Alice au Pays des Merveilles a souvent été peint avec des couleurs charmantes, bien qu’un peu trop vives. L’auteure Nalini Menamkat décide de les retravailler pour placer plus avant le fond de l’histoire, c’est-à-dire dans une tragédie. De quel tragique s’agit-il ? Celui qui arrive à Alice, n’est pas le malheur ou le drame, c’est son incapacité de trouver une solution pleinement satisfaisante à son âge : son adolescence.
Sur une scène multi-usage posée sur les planches, propice à l’imaginaire de chacun·e, donc très loin de toute référence livresque ou cinématographique. Le monde ordinaire s’expose avec, en lieu et place des règles bourgeoises victoriennes d’origine, un quotidien bobo, écolo, macrobio habité par les parents d’Alice, exemple cardinal de vieux parents surprotecteurs. On a beau déplacer le curseur sur la ligne du temps, Alice avance – avec son casque de vélo et son sac à dos – comme elle peut, vers elle ne sait quoi. Sans altérer la poésie du récit, cette version propose un sens à l’enchantement sans cacher la réalité de l’âge du trouble et du désarroi.
Dans notre univers occidental où les rites de passage à l’âge adulte sont oubliés, le passage d’Alice au Pays des Merveilles – particulièrement bien réussi scénographiquement (Terence Prout) – est somme toute une bonne nouvelle. On y retrouve les personnages de l’histoire sans déguisement, mais avec juste assez de repères pour les reconnaître. Des costumes modernes certes, mais qui les symbolisent parfaitement à l’image d’une grande doudoune fluo pour la Chenille – à l’inverse du récit original plutôt bavarde – ainsi qu’un linge de sortie-de-bain sur la tête royale en forme de turban. Rouge comme il se doit, pour une reine sylphide acariâtre et tyrannique. Très joli travail sur les costumes (Eléonore Cassaigneau) qui permet un suivi confortable sur l’entier des personnages avec cinq comédien·ne·s.
Ici, pas d’effet spectaculaire, mais une utilisation de l’espace, des mouvements des acteurs dans un vif jonglage entre les phrases, l’humour, les déplacements, les situations en perpétuels mouvements. Une mise en scène qui illustre l’entier du trouble et la révolte des rêves fous ou dérisoires d’Alice, en parfaite ado chimiquement pure. A remarquer le joli moment du miroir avec deux comédiennes parfaitement synchro ; une sorte de réalisme féerique, ainsi que l’hilarante crise de panique maternelle face à une ado qui lui échappe. On en rit parce qu’on l’a sûrement vécu soit comme parent perdu soit comme ado paumé. Une mise en scène excellente pour une troupe qui offre du plaisir.
Que va-t-elle retirer de cette aventure ? Que fera-t-elle des souvenirs et émotions de ce voyage quand revenue à la surface, elle constatera que son monde n’a pas bougé d’un iota ? Se changer soi-même, ce n’est pas changer le monde.
Ce spectacle offre un rêve d’enfant pour une adolescente montée sur des patins à roulettes. Encore une fois, en déplaçant le curseur sur la ligne du temps, la réalité s’impose où qu’elle se trouve, c’est ce que l’on nomme le tragique. À cet âge, on n’est pas sérieux comme le disait Rimbaud… on vit, on s’essaye… on apprend… on se cherche…
Et peut-être que plus tard, chacun·e telle Alice se dira que dans ces années tumultueuses, que sans en avoir pleinement conscience, c’est dans cette période que chacun·e s’est trouvé·e.
Jacques Sallin
Infos pratiques :
À Merveille, de Nalini Menamkat et la Cie d’un instant, le 24 janvier au Casino Théâtre de Rolle.
Mise en scène : Nalini Menamkat
Avec Laurie Comtesse, Etienne Fague, Céline Goormaghtigh, Sabrina Martin, Baptiste Morisod
https://www.theatre-rolle.ch/programme/a-merveille/
Photos : © Florent Gaillard – Elisa Murcia