Le banc : cinéma

Un rêve pas si familier pour un cœur transparent

En mai 2018 sortait sur les écrans Et mon cœur transparent, le premier long métrage des frères Vital-Durand. Dans ce film dont le titre est tiré du fameux poème de Verlaine « Mon rêve familier », il est question de relations amoureuses, sur fond d’activisme écologique. Une œuvre surprenante et méconnue, qui ne demande qu’à être vue…

« Je m’appelle Lancelot Rubinstein, ma femme est morte ce jour-là, à cet instant précis. Elle s’appelait Irina. Le plus étrange dans cette histoire, c’est de découvrir la personne avec laquelle on vit une fois qu’elle est morte. » C’est par ses mots, prononcés en voix off par Lancelot (Julien Boisselier) que débute ce thriller sentimental. La suite montrera la quête de cet homme brisé qui cherche à reconstituer le puzzle du passé trouble de sa femme. Qu’est-ce qui a bien pu la mener à cet étrange accident de voiture, bien loin de là où elle disait être ? La vérité pourrait bien vous surprendre.

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant / D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime / Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même / Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

Lancelot Rubinstein est un étrange écrivain, un peu lunaire, dans son monde. Il s’attelle à écrire une biographie de Verlaine, d’où la présence du poème en filigrane du film. Jusqu’au jour où il rencontre Irina, image de la femme fatale. Brune, belle, les lèvres rouges et pulpeuses, elle le séduit bien vite. Ces deux êtres que tout semble opposer tombent amoureux et se marient. Oui mais voilà, Irina (Caterina Murino) voyage souvent, soi-disant pour le travail. Alors, quand elle meurt sur une route proche de la maison matrimoniale, alors qu’elle devrait être à l’étranger, tout se bouscule dans la tête de Lancelot. Alors qu’elle lui a avoué son passé trouble dans lequel elle a « donné son cul à tout le monde », l’écrivain se fait les pires films dans sa tête. Le rêve devient étrange, et la femme qu’il croyait connaître, de plus en plus inconnue…

Car elle me comprend, et mon cœur, transparent / Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème / Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême, / Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Car c’est bien là que ce film prend tout son sens. Lancelot aime, de tout son cœur. Transparent, il l’est entièrement, lui qui voue un culte et un désir sans faille à cette femme qui l’a en quelque sorte ensorcelé. Elle, en femme fatale qu’elle est, est libre. On connaît son passé, nettement moins son présent. Pourtant, après sa mort, d’autres hommes surviennent. On n’apprendra que par bribes quelles ont été ses relations avec eux. Mais que cela nous dit-il des relations amoureuses ? Une chose importante d’abord : on a beau aimer de tout son cœur, on ne peut jamais connaître véritablement une personne dans son entièreté. Consciemment ou non, chacun de nous cache une part sombre, plus ou moins grande. Et il est bien normal de ne pas la montrer à celui ou celle que l’on veut séduire. Deuxièmement, il est question d’une certaine dépendance, dans laquelle on peut tomber, l’amour pouvant rendre aveugle. N’y voyez pourtant pas là une diatribe contre l’amour. Et mon cœur transparent montre aussi comment l’amour peut donner des ailes, transcender une personne. Lancelot était triste, comme vide avant de rencontrer Irina ; elle lui a apporté la lumière. C’est d’ailleurs une constante chez elle : tous les hommes qu’elle rencontre voient leur vie changée profondément. Métaphore d’un ange ? D’une sorte de veuve noire ? Un peu des deux sans doute, mais l’image est belle pour montrer l’influence d’un être aimé sur nos existences…

Est-elle brune, blonde ou rousse ? – Je l’ignore. / Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore / Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Vous l’aurez compris, ce film s’avère assez métaphorique. Sa construction narrative n’a rien de très original : Lancelot en est le narrateur et l’histoire avance au gré de ses réflexions et de flashbacks nous aidant à comprendre la complexité du personnage d’Irina. Il est pourtant emprunt d’un esthétisme tout droit sorti du poème de Verlaine. Les images paraissent ternes, peu colorées, dans les moments où Lancelot rumine, alors que tout s’éclaire – même le temps qu’il fait – lors des apparitions d’Irina. Tout concorde donc pour nous montrer la luminescence de sa présence. Elle qui pourtant est une exilée de la Vie. D’abord par son passé de prostituée ou, du moins, de ce qu’on peut communément appeler de « fille facile ». Mais les choses ont changé… Car, au-delà des relations amoureuses et humaines, c’est une Irina engagée qui nous est présentée. D’abord dans sa relation avec la fille du voisin, qui démontre ses prédispositions – et sans doute ses envies – maternelles. Mais surtout dans la réalité que cachent ses soi-disant voyages professionnels : Irina s’avère être une activiste écologique (pas de spoil, on l’apprend assez tôt !). Si ce n’est pas ce qu’on retient principalement de ce film, cela a au moins le mérite de montrer un engagement – bien qu’extrême – dont on doit tous être conscients. Cela nous éclaire aussi sur la complexité du caractère d’Irina, loin des clichés qu’elle pourrait évoquer de prime abord…

Son regard est pareil au regard des statues / Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a / L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

Car la clé est a : c’est la mort d’Irina qui déclenche tout. Et mon cœur transparent s’apparente ainsi à un thriller, dans la mesure où Lancelot tente d’éclaircir le mystère qui entoure sa mort. Et la vérité vous surprendra… car c’est bien la fin qui est véritablement percutante dans ce film. Le reste paraît assez attendu, bien que le scénario soit bien ficelé. Mais cette fin… nul ne peut s’y attendre ! En plus de surprendre – et c’est ce qui m’a plu ! – elle en dit beaucoup sur les paradoxes de notre société : entre velléités écologiques et choix de consommations de masse, liberté sexuelle et fidélité sentimentale à un seul être… Irina a beaucoup plus à nous apprendre qu’on ne le pense. Et bien que Lancelot soit le narrateur et le principal protagoniste de ce film, c’est bien sa femme qui en est la véritable héroïne et qui en détient les clés. À méditer…

Fabien Imhof

Référence :

Et mon cœur transparent, de Raphaël et David Vital-Durand (2018), adapté du roman de Véronique Ovaldé, avec dans les rôles principaux Julien Boisselier (Lancelot), Caterina Murino (Irina), Serge Riaboukine (Paco) et Sara Giraudeau (Marie).

Photos : © DR (banner) et https://www.unifrance.org/film/41560/et-mon-coeur-transparent (inner)

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *