Le banc : cinéma

Une année difficile qui en appelle d’autres ?

Le dernier film du duo Toledano et Nakache, sorti en 2023, traite de sujets actuels et sensibles que sont le surendettement et l’éco-anxiété. Avec cette question qui nous taraude : peut-on faire un film léger et drôle sur n’importe quel thème ?

Tout commence par des extraits de discours de présidents français annonçant tous que l’année écoulée ou celle à venir à été une année difficile. Un discours qui se répète depuis les années 70 déjà, pour différentes raisons, mais qui témoigne d’un problème profond en France. Sans transition, nous assistons à une action de militant·e·s écologistes qui viennent bloquer l’accès à des magasins lors du Black Friday. Albert (Pio Marmaï), qui veut à tout prix acheter un écran plat pour le revendre au prix fort, se moque d’eux et les provoque. S’ensuit une longue scène de violence, où les client·e·s se battent pour acheter un maximum d’objets en promotion, le tout alors que résonne La Valse à mille temps de Brel. On ne pouvait imaginer une scène plus en décalage, qui annonce d’emblée le ton du film. Albert, donc, retrouve Bruno (Jonathan Cohen), dans sa maison où les huissiers sont en train de tout saisir. Malgré eux, ils lieront une amitié, après avoir découvert qu’ils partagent la même galère : le surendettement. Un peu par hasard, ils se retrouvent liés à une association écolo, qu’ils rejoignent sans conviction, tout en y voyant de nombreuses opportunités : manger et boire à l’œil lors des meetings, impressionner Cactus (Noémie Merlant) dont le charme ne les laisse pas indifférents et, qui sait, trouver un moyen d’effacer leur dettes ?

« Parcours classique : un premier crédit, un deuxième, puis un troisième plus gros pour ce petit pavillon. Et trop de charges, pas assez de revenus et c’est la spirale : une dizaine de crédits à la consommation qui s’additionnent pour boucher les trous. Et puis les lettres de relance arrivent, s’accumulent. Alors on demande à la famille, aux amis, aux collègues. La spirale. » (Henri Tomasi (Mathieu Amalric), bénévole d’une association de lutte contre le surendettement, à Albert, après la tentative de suicide de Bruno)

Le choix de Toledano et Nakache est osé : choisir deux thématiques aussi fortes en France, des sujets si sensibles, le pari était risqué. Les voilà pourtant coutumiers du fait. Dans Samba, il était question de l’immigration, dans Intouchables du handicap. On évoquera aussi les géniaux Nos jours heureux, autour d’une colonie de vacances, et Le Sens de la fête, sur l’organisation pour le moins compliquée d’un mariage. Dans tous ces films, leur humour potache, le trait forcé juste ce qu’il fallait pour créer un décalage humoristique, avait parfaitement fonctionné. L’objectif a toujours été le même : faire changer le regard des sceptiques en changeant le point de vue, l’angle d’approche, pour mieux informer. Dans Une année difficile, c’est cette même recette qu’ils emploient, en cherchant à sensibiliser et permettre de mieux comprendre les actions écologistes. On assiste souvent, notamment dans les médias et sur les réseaux sociaux, à un dialogue de sourds entre militant·e·s convaincu·e·s et engagé·e·s et celles et ceux qui s’y opposent, immédiatement taxé·e·s de capitalistes consuméristes, sans nuance. Deux camps, donc, en totale opposition, qui ne peuvent s’entendre. Toledano et Nakache nous plongent donc au cœur d’une association écolo, prenant le contrepied de ce discours et en y insérant deux personnages très peu convaincus par la cause, mais qui finiront par se prendre au jeu. Plusieurs membres d’une réelle association apparaissent d’ailleurs dans le film en tant que figurants. Cherchant à éviter l’angle de la confrontation stérile, les deux réalisateurs parviennent-ils pour autant à apporter de nouveaux éclairages sur ce débat public ô combien sensible, tout en apportant la touche d’humour qui fait leur succès ?

Le trait un peu trop forcé

Notre réponse ne peut qu’être mitigée. L’idée de base et l’angle choisis sont excellents, et les deux réalisateurs semblent s’être très bien renseignés sur le sujet. L’humour est toujours présent, notamment au sein du duo Pio Marmaï – Jonathan Cohen, dont la complicité fonctionne à merveille. Le personnage de Cactus, qui a renoncé à ses grandes études après la lecture des premiers rapports du GIEC apporte également un joli contraste avec ces deux personnages qui, il faut bien le dire, n’y connaissent pas grand-chose à l’écologie.

Pour autant, on a le sentiment que quelque chose n’est pas totalement abouti dans ce film. Les militants ressemblent un peu trop à l’idée qu’on se fait d’eux et qui est souvent renvoyée dans les médias : de jeunes gens emplis de convictions mais qui n’ont aucun sens des réalités et veulent simplement montrer qu’ils existent. Face à eux, celles et ceux qui soutiennent le système capitaliste sont aussi présentés comme des extrémistes fermés au dialogue. Bien sûr, on ne peut pas nier que cela reflète une partie de la réalité et que, d’un côté comme de l’autre, il faudrait mettre un peu d’eau dans son vin. Une année difficile illustre ainsi ce dialogue de sourds, avec des camps trop peu enclins à écouter la position adverse. Même le happy end et la rédemption d’Albert et Bruno, bien que très belle et porteuse d’un message d’espoir, ne sonne pas totalement crédible. On peine à y croire, au risque de desservir le propos en forçant trop le trait, ce que Toledano et Nakache avaient su toujours brillamment éviter jusqu’alors. On soulignera toutefois le joli clin d’œil au début du film, alors que La Valse à mille temps de Brel revient, cette fois-ci pour illustrer une forme d’apaisement.

Si l’on reste donc sur notre faim, avec un avis mitigé sur la question, on se dit aussi qu’Une année difficile est le reflet d’une France qui va mal. En montrant peut-être un côté trop stéréotypé des militant·e·s écologistes, Toledano et Nakache sont inévitablement sujets à des critiques. Mais s’ils les avaient idéalisé·e·s en prenant plus leur parti, d’autres se seraient levé·e·s pour critiquer. Le sujet est peut-être simplement trop important, trop clivant, pour que l’angle idéal puisse être trouvé. À un moment donné, il faut bien faire des choix, et on ne peut pas plaire à tout le monde. Quoiqu’il en soit, Une année difficile a le mérite d’aborder ces sujets délicats, qui touchent tout le monde, en France comme ailleurs. Et rien que pour cela, pour avoir osé s’emparer de telles thématiques et ouvrir la porte à un débat peut-être moins stérile, on ne peut que féliciter Toledano et Nakache.

Fabien Imhof

Référence :

Une année difficile, réalisé par Éric Toledano et Olivier Nakache, France, 2023.

Avec Pio Marmaï, Jonathan Cohen, Noémie Merlant, Mathieu Amalric…

Photos : © 2023 ADNP- TEN CINEMA – GAUMONT – TF1 FILMS PRODUCTION – QUAD +TEN

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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