Une conférence d’acrobaties
Suzanne : une histoire du cirque est un mélange hybride entre conférence, enquête documentaire et numéro chanté, présenté au Théâtre Pitoëff dans le cadre du festival de La Bâtie, les 11 et 12 septembre.
Anna Tauber, seule en scène devant un grand écran, nous partage son amour pour le cirque, qui l’habite depuis toute petite, et les circonstances de sa rencontre avec Suzanne. Suzanne, une nonagénaire attachante et haute en couleurs, était trapéziste avec son mari Roger dans les années 60. Le spectacle retrace le parcours des Antinoüs, couple autodidacte qui a tourné dans des cirques internationaux ; mais c’est aussi l’occasion de sortir des archives de grands noms de la piste, notamment les Clerens, duo de trapézistes au final tragique, ou les funambules Les Diables Blancs. En parallèle, c’est également la vie d’Anna qui se dévoile, son rapport au cirque, son attachement à Toulouse et le décès de son père. Mais c’est surtout une relation touchante qui est dépeinte, que les deux femmes développent au fil des rencontres. Les interactions entre Suzanne, sur le grand écran, et Anna qui lui pose des questions depuis la scène, constituent une jolie mise en forme de ces interviews menées pour comprendre qui est Suzanne et quelle était la place du cirque dans sa vie.
Le clou du projet, l’idée folle d’Anna, est de reconstituer le numéro des Antinoüs avec ses amis acrobates. Les différents exercices du numéro sont retrouvés grâce aux quelques images d’archives, aux souvenirs de Suzanne, mais aussi grâce à l’aide de François, un admirateur de l’époque qui a vu le numéro trois fois et est enthousiasmé par le projet, qui aide à rafraîchir la mémoire de Suzanne. Anna documente le processus de A à Z, depuis la rencontre avec les acrobates, les recherches artistiques et les entraînements. Cette reprise du numéro permet de mettre en exergue les différences entre le cirque d’après-guerre et le cirque contemporain. À l’époque, la prise de risque était totale, car les acrobates se lançaient sans filet ni longe, à une dizaine de mètres au-dessus du sol. Les figures peuvent donc paraître plutôt désuètes comparées à celles d’aujourd’hui, si on ne prend pas en compte ce paramètre. Aujourd’hui, les circassien·ne·s effectuent des prouesses impressionnantes à coup de vrilles et de triple saltos, mais les protections sont obligatoires. L’intérêt de remettre le numéro des Antinoüs au goût du jour est de justement retrouver cette confrontation au risque, autant pour les acrobates pour qui ce n’est pas commun, que pour le public, qui regarde les artistes avec la boule au ventre et la bouche ouverte.
L’amour du cirque éprouvé par Anna Tauber est réel et bien transmis, ainsi que sa fascination pour Suzanne, cependant la forme du spectacle pourrait transmettre de manière plus incarnée ce goût du risque et de l’émerveillement produit par cet art. Ici, voir les images sur un écran crée une distance avec les spectateur·ice·s, qui peuvent s’identifier aux plans d’archives des publics de l’époque, mais l’effet ne sera malgré tout jamais le même que voir le numéro en vrai. Le montage filmique du numéro final ne nous permet pas de saisir entièrement la prouesse des acrobates. Le numéro chanté d’Anna reprenant Dalida est une belle tentative d’aller vers cette effervescence du cirque, mais on regrette le manque de numéros “live”, reprenant les géniales images d’archives dénichées de clowns ou de danseurs, faute de pouvoir ramener le trapèze au Théâtre Pitoëff.
Suzanne : une histoire du cirque est donc enrichissant sur le plan historique, avec de belles archives et un panorama sur les stars de la piste, c’est en somme une ébauche à fort potentiel pour nous émerveiller, nous mettre des étoiles dans les yeux comme ceux des enfants en bord de piste.
Léa Crissaud
Infos pratiques :
Suzanne : une histoire du cirque, d’Anna Tauber et Fragan Gehlker, au Théâtre Pitoëff, les 11 et 12 septembre 2024.
Avec Anna Tauber
https://www.batie.ch/fr/programme/tauber-anna-gehlker-fragan-suzanne-une-histoire-du-cirque
Photos : © JC Leblanc