Une fable pour fêter la vie
Faire des rencontres et créer du lien, voilà peut-être à quoi tient Une si parfaite journée. Entre complicité, humour, réflexions et émotions, Celine Bolomey et Coraline Clément s’amusent avec le texte et la mise en scène de Ludovic Chazaud, jusqu’au 26 juin au Théâtre Saint-Gervais.
En entrant dans la salle du deuxième sous-sol, on est accueilli en musique, avec Psycho Killer de Talking Heads et d’autres morceaux dans le même style. L’énergie circule déjà entre les deux comédiennes présentes sur le plateau et le public qui arrive. Elles s’adressent à nous, entament le dialogue, si bien qu’on ne sait trop quand le spectacle commence véritablement : on y est intégré malgré nous. Rapidement, elles choisissent d’évoquer deux souvenirs, en forme de genèse du spectacle. Puis on bascule petit à petit vers une fête organisée chez Perrine et Pierre, deux des personnes interviewées en vue de la création d’Une si parfaite journée. Les convives ne sont autres que Celine, Coraline et les autres personnes qui ont contribué au projet. Ainsi qu’un quatorzième invité mystère, qu’on ne découvrira qu’à la fin du spectacle… Durant environ une heure et demie, nous assistons donc à l’évolution des liens et des relations entre tous ces protagonistes, avec un mot qui résonne à nos oreilles : collectif.
Humour et émotion
Les dialogues imaginés par Ludovic Chazaud sur la base des témoignages sont simples : ils ressemblent à ceux du quotidien, aux discussions qu’on peut avoir avec nos voisins ou des personnes rencontrées à une soirée. Les conversations, d’apparence banale, dévient çà et là sur des considérations plus profondes autour de l’humain, de sa place dans la société et sa façon d’interagir avec les autres. Le tout est agrémenté de parties narratives et extraits audio des témoignages des participants. Loin du théâtre grandiloquent auquel on peut parfois assister, Une si parfaite journée place ainsi l’humain au centre de son propos. Et si les comédiennes ne sont que deux sur la scène, elles parviennent à convoquer tou·te·s les autres participant·e·s en jouant leurs rôles, inventant des interactions avec iels, si bien qu’on ne sait plus si on est dans une fiction, un souvenir ou une réalité qui se crée devant nos yeux. On rit alors des situations cocasses et de l’apparente spontanéité des dialogues, comme lorsque Marius et son acolyte décident d’aller chercher des bières dans le hangar attenant au jardin, ou lorsque les invités s’ébahissent tour à tour devant la beauté des rosiers… Et si l’on rit autant, c’est sans aucun doute grâce à la complicité de Celine Bolomey et Coraline Clément, qui jonglent entre les rôles, en tant qu’actrices et personnages du spectacle.. Les frontières entre tout cela s’abolissent petit à petit et on se laisse surtout porter par les mots.
Au-delà de l’humour, c’est ainsi une forme d’émotion qui nous emporte : chacun des personnages, à sa manière, pense aux autres, rendant un service, ayant une petite attention, s’assurant qu’iel ait toujours à boire… Même si certain·e·s avouent apprécier la solitude, toutes et tous ont besoin du lien avec les autres pour exister, se sentir vivant·e et échanger d’une certain façon. Difficile dès lors de décrire ce qu’on ressent, mais la bienveillance qui se dégage d’Une si parfaite journée nous envoie dans une forme d’apesanteur, on se sent léger.
Des chemins qui s’entremêlent
Sur le plateau, des chemins sont dessinés au sol en couleurs fluo. Ils représentent les vies des différents protagonistes. Se croisant ou non, de longueurs diverses, ils dévoilent, quoiqu’il en soit, une certaine évolution chez chacun·e : de cet ancien plombier qui continue à rendre service à ces deux amies qui vivent en colocation après avoir connu les communes d’habitation, en passant par cette femme qui ne se sent véritablement elle-même que sur son bateau… Comme iels, le décor évolue durant la soirée : alors que tout est bien rangé et empilé au début du spectacle, le tapis finit avec quelques miettes de chips, des bouteilles renversées, d’autres posées sur les tables ; les verres sont à moitié vident et répartis un peu partout, des chaises ont été déplacées au gré des conversations. Comme une véritable soirée qui avance. Les traces qui demeurent montrent une chose : il y a eu de la vie !
Et c’est bien cela qu’on retient d’Une si parfaite journée : la vie et l’humain. Car c’est avec les interactions et les liens qu’on chemine, qu’on découvre. Telle une ode à la vie, la fable imaginée par Celine Bolomey, Coraline Clément et Ludovic Chazaud résonne comme un moment de bonheur et d’humanité. On en redemande !
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Une si parfaite journée, de Ludovic Chazaud, sur une conception de Celine Bolomey et Coraline Clément, au Théâtre Saint-Gervais, du 16 au 26 juin 2022.
Mise en scène : Ludovic Chazaud
Avec Celine Bolomey et Coraline Clément
https://saintgervais.ch/spectacle/une-si-parfaite-journee/
Photos : © Magali Dougados