Une grand-mère tendre et attachante
« Elle s’appelait Florentine Lina Hermance. Vers la fin de sa vie, sa date et son lieu de naissance avaient fini par lui sortir de la mémoire. Ne restait alors que la mienne pour tout reconstituer. » (p. 11)
Dans La Saint-Sigolin, Jacques Sallin raconte sa grand-mère à travers ses yeux de grand enfant. À travers de courts chapitres rappelant chacun un épisode marquant de sa relation avec cette « grand-mère encombrante et merveilleuse », il emmène son lectorat avec une certaine légèreté dans une époque désormais révolue. Entre relations familiales, emménagement dans une ferme à Jussy, pâtisseries et autres délices de l’enfance, c’est un véritable tableau en forme de divertissement que l’auteur esquisse. On y découvre une grand-mère dont le parcours n’a pas toujours été facile, et qui a dû faire avec les changements rapides de l’époque : développement d’appareils électroménagers, apparition du made in USA et mode des Tupperware… Une grand-mère qui a toujours eu le goût des autres, une volonté de venir en aide à son prochain, qu’il s’agisse de ses petits-enfants ou des ouvriers qu’elle accueillait les midis pour le repas, mais qui savait aussi mener sa barque comme personne ! Pour preuve cet épisode de la Saint-Sigolin, qui donne son titre au roman :
« Mais à la Saint-Sigolin, il fallait que je me rende à l’évidence, car le fait de terminer ma tartine devant une ménagère en argent déployée sur la table était un message aussi lisible qu’une manchette de journal. Et comme toujours, impossible d’y échapper. Tant qu’il me restait deux mains pour frotter, il fallait y aller. » (p. 42)
Ces moments sont ceux qui marquent une vie ! Et l’on comprend alors mieux le sous-titre du livre : Souvenirs d’une grand-mère encombrante et merveilleuse. Encombrante, bien sûr, car, comme toute grand-mère qui se respecte, elle ne laisse jamais tranquille ses petits-enfants, qui doivent aider et mettre la main à la pâte. Merveilleuse, surtout, car on sent dans les mots de Jacques Sallin tout l’amour qu’elle lui a transmis. De son écriture faite de mots simples, agrémentée de quelques comparaisons colorées, se dégage un certain humour : Ah, comme on aime se moquer de sa grand-mère ! Cet humour reste toujours teinté d’une immense tendresse. Et même si certains moments sont racontés comme un véritable calvaire – imaginez-vous frotter toute la vaisselle en cuivre jusqu’à ce qu’elle brille parfaitement, ou écosser plusieurs kilos de petits pois – ce ne sont au final que de bons souvenirs qui lui restent. Et le voilà qui les raconte à travers ses yeux de grand enfant, un état qu’on ressent bien dans le style par moments presque naïf du minot qu’il était :
« Je découvris avec une certaine méfiance le taillé aux greubons puis, à ma grande surprise, le plaisir infini d’en manger. La pâte se brisait dans ma bouche enfantine et immédiatement se libéraient des grains qui, croquant sous la dent, prenaient un tout autre goût.
Cette gourmandise était devenue à l’instant ma madeleine de Proust à la mode vaudoise. » (p. 86)
La Saint-Sigolin, c’est finalement un livre plein de légèreté et de tendresse, particulièrement touchant : une « petite » histoire comme les aime, saupoudrée des liens subtils avec la grande Histoire – on évoquera ici les origines juives de Florentine. Une histoire qui réveille inévitablement des souvenirs de nos grands-mères à nous, tous ces petits moments qui nous agaçaient en tant que gamin, mais qui sont aujourd’hui précieusement conservés au fond de nos cœurs. Avec toute l’admiration que cela implique :
« Reflet et symbole de tout ce qui a fait sa vie : un labeur acharné, une volonté sans faille pour un peu de confort qu’elle ne devait qu’à elle-même. » (p. 95)
Fabien Imhof
Référence :
Jacques Sallin, La Saint-Sigolin, Genève, Éditions du chien jaune, 2022, 120 p.
Photo : © Fabien Imhof