Le banc : cinéma

Une Traversée de la mer et de la vie

Deux éducateur·ice·s organisent une traversée de la Méditerranée, jusqu’au Maroc, sur un voilier, avec un groupe de jeunes en difficultés, accompagné·e·s par un skipper et ancien policier. La Traversée pourrait bien faire évoluer les mentalités…

Pour les sortir du cadre de leur cité et les éloigner, l’espace de quelques jours, de leurs problèmes quotidiens, l’association Les Écureuils emmène cinq ados déscolarisés pour une virée en mer, destination le Maroc. Dans ce milieu totalement inédit pour elles et eux, iels tenteront de créer une dynamique nouvelle, pour leur faire découvrir de nouvelles valeurs, entre autres. Bien sûr, tout ne va pas se passer comme prévu : des tensions apparaissent entre les jeunes, mais aussi entre Steph (Audrey Pirault) et Alex (Lucien Jean-Baptiste), les deux éducateur·ice·s, ainsi qu’avec Riton (Alban Ivanov), le skipper et ancien membre de la BAC. Lui qui a quitté les services de police précisément dans le but de ne plus se confronter à cette population, le voilà qui va être servi. Mais cette rencontre pourrait bien le conduire à voir les choses différemment. Un deal gagnant-gagnant en quelque sorte.

Une comédie, mais pas que

La Traversée est présenté comme une comédie. Évidemment, il y a beaucoup d’aspects comiques dans ce film, qu’il s’agisse de la relation entre Steph et Alex, des tensions entre les jeunes et Riton, ou entre les ados entre elles et eux. Steph, elle aussi, a un certain vécu qui la rend proche de ces ados, et complique la relation avec Riton. Son franc-parler, qui se rapproche de celui des jeunes, surprend ainsi par moments, contrastant avec son statut. On évoquera aussi Alex et sa soi-disant formation de skipper, mais la vérité va rapidement éclater au grand jour…

Au-delà de cette dimension drôle et légère typique des comédies françaises, La Traversée apporte également une réflexion plus profonde, sans tomber dans un excès de moralisation. Riton représente, dans la première partie du film, tous les clichés qu’on peut avoir sur la profession, avec les a priori qu’il a sur les jeunes de banlieue, ses idées toutes faites et son esprit très fermés. Pour autant, les ados ne démentent pas forcément ce qu’il dit sur eux : Polo (Enzo Lemartinet) et Mahdi (Mamari Diarra) pensent avant tout à s’amuser et à monter un business de trafic de drogue, Léa (Lucie Charles-Alfred) et sa bipolarité entrent souvent en confrontation avec les adultes, alors que Rayane (Moncef Farfar) se tient à l’écart du groupe, avec son air mystérieux et son rejet de tout, jusqu’à ce que Sam (Thilla Thiam) parvienne à le dérider quelque peu. Sans démentir les clichés, donc, ces jeunes les affinent toutefois, en parlant de la manière dont ils ont grandi, du contexte familial qui cause leurs difficultés. On est ainsi surpris d’apprendre que Sam, en décrochage scolaire, a plusieurs grands frères qui exercent tous des professions assez prestigieuses, puisqu’ils sont avocat ou médecin. Mais elle n’a pas supporté la pression que cela entraînait. Cet exemple, et la vie des autres jeunes, permet de mieux comprendre comment ils en sont arrivés là, et d’affiner notre regard, souvent biaisés par les stéréotypes et les discours véhiculés trop souvent par les médias. Quant à Steph et Alex, iels permettent de faire le pont entre l’ex-policier et les ados, avec deux profils bien distincts. La première est très « rentre-dedans » et n’épargne pas les jeunes, quitte à leur parler crûment. À l’inverse, Alex est beaucoup plus dans la bienveillance et la compréhension, comme s’il souhaitait éviter toute forme de conflit. Si l’on évoque les stéréotypes de genre, on aurait pu s’attendre au contraire. La Traversée choisit ainsi, subtilement, d’inverser les rôles, sans pour autant revendiquer profondément cette dimension, permettant de faire passer cela bien plus naturellement que si le scénario avait insisté sur ce point.

En huis-clos

Les quinze jours passés en mer, sans contact extérieur – il n’y aucun réseau accessible pendant un bon moment – permet de créer des liens et de les renforcer, obligeant tou·te·s les membres de l’équipage à discuter, à s’ouvrir aux autres. Évidemment, quelques moments sont un peu attendus, comme le rapprochement entre Rayane et Sam, ou celui entre Riton et Steph. Quelques ressorts narratifs classiques sont ainsi présents, véhiculant encore quelques stéréotypes – qui ne sont pas forcément faux : on pense notamment au fait qu’Alex a organisé ce voyage uniquement pour « mettre un coup de canif » à Steph, plus que pour soutenir les jeunes…

Pour autant, le tout fonctionne plutôt bien. La Traversée s’avère être une bonne surprise. Loin de la simple comédie légère à laquelle on s’attendait, le film illustre également une réalité dont on parle beaucoup, mais vue sous un autre angle. Pour une fois, la parole est donnée aux jeunes et à celles et ceux qui les soutiennent, les aident et les côtoient au quotidien. Cela fait beaucoup de bien, car le scénario n’entre pas non plus dans quelque chose de complaisant, où on évacuerait tous les problèmes existants. Bien sûr, on n’assiste sans doute pas à toute la complexité des situations, mais l’objectif n’est pas là non plus.

Fabien Imhof

Référence :

La Traversée, réalisé par Varante Soudjian, France, 2021.

Avec Audrey Pirault, Lucien Jean-Baptiste, Alban Ivanov, Enzo Lemartinet, Mamaria Diarra, Lucie Charles-Alfred, Moncef Farfar et Thilla Thiam

Photos : © Metropolitan Films

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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