Les réverbères : arts vivants

Voici ma version plus sensible

Les « extras », c’est quoi ? Ils naviguent entre souvenirs négatifs et positifs. Qu’ils soient au boulot, sensuels ou extravagances… Ils détournent nos plans initiaux et laissent des empreintes indélébiles dans nos quotidiens.  Extra Life, à la Comédie de Genève du 21 au 24 février, ouvrait grand les portes à ce qui semble, à tort, n’arriver qu’une seule fois ou qu’aux autres. Une grande claque époustouflante.

Diurne / nocturne

Gisèle Vienne, avec Extra Life, ouvre une parenthèse que nous connaissons sans doute tou·te·s très bien : la parenthèse de la vie nocturne. Que se passe-t-il lorsque l’on sort et que nous détournons ce qui constitue habituellement notre cadre ? Alcool, amitiés, amourette, consommation… Tout ceci nous mène dans les extraordinaires moments de la vie. Certes, nous connaissons en Suisse l’adage que ce qui se passe au chalet reste au chalet mais qu’en est-il des nuits et de ce qui s’y déroule ? Et puisque j’étais dans les fauteuils pomponnés de la Comédie et pas ceux du chalet de la Fouly, je ne vous cacherai rien : j’ai bien cru voir les deux tiers de ma vie sur scène, le dernier tiers restant un mystère étant donné que j’ai seulement passé la trentaine.

Dans une ambiance cotonneuse de fin de soirée, comme bloqué·e·s dans une caisse qui formera le cadre de leurs conversations, deux jeunes abordent le sujet des extraterrestres ; c’est-à-dire des aliens ou peut-être de ce que l’on croit être alien voire aliénant dans notre vie.

L’espace scénique est maitrisé avec brio parce qu’il recrée aussi l’ambiance de la fête en y mêlant le côté fantastique et le côté angoissant : musique à fond, lumières laser, tous les sens sont troublés. La scène, de par ses couleurs, et les gestes si souples des comédien·ne·s qui quittent le véhicule, déambulent, nous appellent et (r)éveillent en nous l’envie de faire la fête. Mais, tout à coup, on observe des renversements un peu comme si vous rouliez sur le parcours monotone d’une autoroute et que vous vous preniez les grands panneaux, qui d’habitude nous surplombent, en plein visage.

J’ai des aliens en moi

La mise en scène de Gisèle Vienne laisse également place à une intimité sans pareil. Les deux jeunes dont il est difficile de saisir toutes les conversations, comme s’iels souhaitaient conserver l’anonymat et le mystère de celles-ci, échangent sur des thèmes plutôt variés, superficiels (star de la soirée, alcool consommé etc.) et s’interrompent jusqu’à exprimer tour à tour qu’un viol s’est produit dans leur famille respective. Voilà le panneau en question.

Puis, une question est portée tout à coup sur le plateau par l’une des comédiennes : « Mais qu’est-ce qui changerait si je n’étais pas là ? » Cette question philosophique fait écho à tous ces désirs et douleurs de destruction que l’on peut ressentir à l’adolescence.

Comme dans son dernier spectacle Crowd, Gisèle Vienne n’hésite pas à jouer avec les grandeurs et avec ce que l’on essaie d’enterrer en tout petit à l’intérieur de nous, mais qui revient souvent comme une montagne au milieu de notre horizon. Elle donne un visage à la fulgurance.

Une pause pour raconter

Dans l’imaginaire commun, lorsqu’on vit quelque chose d’extra, cela représente quelque chose d’émotionnellement très fort et qui n’est pas soumis au même temps que notre quotidien. Quand vous avez vécu une journée extraordinaire, le temps donne l’impression de s’être envolé. Non ? Il en est de même pour ce spectacle qui réussit à peindre le temps, comme s’il était très concret et que l’on avait dessiné des grandes surfaces lorsqu’il est lent et de toutes petites stries lorsqu’il se déroule très rapidement. Nous assistons à une succession de tableaux avec des moments d’hyperactivité et des instants au ralenti, comme des arrêts sur image durant lesquels les comédien·ne·s parlent d’eux/elles-mêmes, des faits qui leur semblent “extraterrestres” dans leur vie, les faux espoirs, les attentes, les déceptions. Et comme si nous voulions cette fois vraiment en parler et ne surtout pas les louper, ils apparaissent comme peints au pinceau large sur la scène. Les spectateur·ice·s ne peuvent donc tourner la tête et éviter les thématiques qui font mal, mais sont bel et bien obligé·e·s de voir ce qu’il se passe là, devant leurs yeux, mais aussi au fond d’eux, dans leur famille, dans leur entourage. Le nerf faible de ce long spectacle serait toutefois le manque de pauses dans la torpeur des soirées relatées. En effet, si l’on assiste là à un plaidoyer pour une expression plus régulière et soutenue de ses émotions dans notre quotidien, il me semble important de donner envie de pouvoir parler des sujets qui fâchent, au bon moment, sans pour autant déclencher des vagues trop violentes, et qui le plus souvent nous effraient.

Si vous avez l’intention de vous déplacer loin prochainement (un extra ?), alors faites-le pour ce spectacle car ce ne sera pas seulement un déplacement géographique mais un mouvement émotionnel dont vous vous souviendrez au moins durant un bon tiers de votre vie.

Laure-Elie Hoegen 

Infos pratiques:

Extra-Life de Gisèle Vienne à la Comédie de Genève du 21 au 24 février 2024.

 Mise en scène : Gisèle Vienne

Avec Adèle Haenel, Theo Livesey, Katia Petrowick

EXTRA LIFE – Comédie de Genève | théâtre (comedie.ch)

Photos : © Estelle Hanania

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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