Les réverbères : arts vivants

Variations autour du sexe

Jusqu’à dimanche, le Théâtre Saint-Gervais proposait Le Large existe (mobile 1), un montage de textes autour de la sexualité, à cheval entre danse et théâtre, déconseillé aux moins de 16 ans.

Le Large existe (mobile 1) a été conçu par Manon Krütlli et Jonas Bühler. Mélangeant des textes de Marguerite Duras, Guillaume Dustan et Guillaume Poix, il se présente comme un mobile scénique, dans un mouvement perpétuel des comédiens, sans aucun contact, avec pour question centrale « Qu’est-ce qui nous (re)lie ? »

Un collage de textes

La comédienne Jeanne De Mont est seule sur la scène toute blanche du sous-sol, se déplaçant suivant des mouvements de va-et-vient, comme dans une chorégraphie millimétrée, qui semble à la fois, paradoxalement, improvisée. Elle prête sa voix au roman Les Yeux bleus cheveux noirs de Marguerite Duras, dans la langue si simple – et un peu plate à mon goût – de la célèbre écrivaine française. La fable de la rencontre d’un homme et d’une femme, qui passent plusieurs nuits ensemble, tout en étant liés par leur désir inassouvi de se rendre vers un autre homme croisé dans le hall de l’hôtel, sous-tend tout le spectacle. Si on comprend qu’elle sera une sorte de fil conducteur du spectacle, elle manque malheureusement parfois de liant avec le reste.

Autour de cette fable centrale gravitent les textes crus de Guillaume Dustan, qui parle de ses nuits de sexe intense, dans une confrontation violente des corps. Là encore, on reste un peu sur notre faim. Les mots sont crus, les images fortes, et pourtant on a le sentiment que tout cela pourrait aller encore plus loin, dans un geste plus provocateur, qui donnerait à ces mots toute la dimension puissante qu’ils méritent.

Les mots de Guillaume Poix prennent le relais et constituent pour moi le moment fort du spectacle. Alors que les comédiens se déplacent sur la scène dans leur mouvement de mobile si précis, une voix-off – croit-on – se fait entendre, dans un monologue sans fin, débité à une vitesse vertigineuse, un peu à la manière de celui de Lucky dans En attendant Godot. À la différence près que celui-ci a du sens. Et puis, surprise, ce n’était pas une voix-off. François Karlen arrive sur la scène que les autres ont désertée. Seul, face au public, avec son micro à la main, il continue de débiter ce monologue. Il raconte, comme les autres, un amour perdu, mais au conditionnel. Le moment est fort, plein d’émotion. Le texte nous parvient droit au cœur. Pendant presque un quart d’heure, il raconte cet amour espéré, rêvé, et en même temps si normal qu’il en devient monstrueux. Les mots claquent, résonnent, et on est pendu à ses lèvres. Sans mouvement ou presque, à peine accompagné d’une musique légère, ce passage épuré est sans nul doute le plus émouvant du spectacle. La performance de l’acteur est à souligner, tant le débit est impressionnant, sans aucune bafouille ou presque. Merci monsieur Karlen pour les émotions.

Un constant mouvement

La métaphore du mouvement de mobile se déroule durant tout le spectacle ; d’abord, le regard est toujours tenu, que ce soit entre les comédiens ou avec le public placé de chaque côté de la scène, dans ce dispositif scénique particulier. Les personnages cherchent à aller les uns vers les autres, sans jamais se toucher, sans jamais s’atteindre. Si la métaphore est là, que le travail ne peut être remis en question tant les mouvements, dont les règles semblent strictes, sont précis. Le mouvement de va-et-vient rappelle celui du rapport sexuel dont il est question tout au long du spectacle, on peine pourtant à tout comprendre. Les mots se perdent au milieu de ces déplacements, pas aidés par le bourdonnement presque incessant des musiques d’ambiance du spectacle.

Au final, malgré d’excellents passages, le sentiment est un peu mitigé. Le travail sur les mots, sur les mouvements, est perceptible. La partition est millimétrée, la recherche métaphorique est là, mais pas tout ne nous parvient, ni le texte, ni les clés qui nous auraient permis de comprendre complètement quel en est le message. On passe toutefois un bon moment, soulevé par quelques passages bouleversants, qu’il s’agisse du monologue de François Karlen ou des passages à plusieurs voix, qui donnent aux textes leurs différentes interprétations. C’est cela, aussi que je retiens de cette pièce : une pluralité de sens, selon les mots, selon les émotions de chacun, et la manière de les dire. Chacun ressentira quelque chose différent, selon sa sensibilité et ses affects. Et l’intérêt du Large existe (mobile 1) est sans doute bien là.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Le Large existe (mobile 1), d’après des textes de Marguerite Duras, Guillaume Dustan et Guillaume Poix, du 27 au 31 mars 2019 au Théâtre Saint-Gervais.

Conception : Manon Krüttli et Jonas Bühler

Mise en scène : Manon Krüttli

Avec Jeanne De Mont, Jérôme Denis, Charlotte Dumartheray, Géraldine Dupla, Arnaud Huguenin et François Karlen.

https://saintgervais.ch/spectacle/le-large-existe-mobile-1

Photos : ©Dorothée Thébert-Filliger

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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