Versant Rupal : atteindre le sommet de l’humanité
À l’Orangerie, la Cie Jusqu’à m’y fondre emmène le public au sommet du Nanga Parbat, dans l’expédition qui a bâti la légende de Reinhold Messner. Mais c’est avant tout une aventure humaine et poétique qui est proposée dans Versant Rupal, à voir jusqu’au 5 août.
Le texte de Mali Van Valenberg revisite le récit de l’alpiniste Reinhold Messner, à l’heure où il n’était pas encore la légende qu’il est aujourd’hui. Dans un monologue porté par trois voix (Mali Van Valenberg, Céline Goormaghtigh et Pierre-Isaïe Duc), on suit la préparation de l’expédition, on rencontre les aventuriers qui accompagnent Reinhold, avant d’embarquer dans la cordée, direction le sommet, par le Versant Rupal, un exploit encore jamais réalisé auparavant ! S’ensuivra la redescente du sommet par Reinhold et son frère, et les polémiques qui ont suivi l’ascension…
Une suite de chutes
Plus haut est le sommet, plus le risque de chuter est important. C’est ce que vient nous rappeler de manière terrible ce Versant Rupal. Ce spectacle présente un véritable aspect documentaire, dans la mesure où il raconte la véritable histoire de l’alpiniste. Il y a bien sûr le risque de chute physique : tomber lors de la descente, mourir de faim, de froid, dans ce qu’on a tristement nommé la « montagne tueuse ». Alors évidemment, le parcours est semé d’embûches : on perd des sacs, les conditions météorologiques obligent les expéditeurs à modifier leurs plans, le chemin souhaité n’est plus praticable… Mais au-delà de cela, c’est aussi l’histoire d’une chute humaine qui nous est racontée dans Versant Rupal : on citera les décès, pertes de membres et autres fractures potentielles, mais surtout, ce qu’on retient, c’est la polémique qui a suivi l’expédition, discréditant les mérites de Reinhold Messner à la suite d’un rapport erroné. On n’en dira pas plus ici, si ce n’est que, pendant comme après l’ascension, les doutes et remises en question ont envahi l’alpiniste, et ce sont bien ces émotions-là qui nous sont retransmises sur la scène. Une manière de nous rappeler la petitesse de l’être humain face à l’immensité de la Nature…
Faire vivre le récit
Si ce spectacle nous marque autant, c’est parce que la poésie de sa mise en scène fait vibrer quelque chose en nous. On pourrait croire qu’il ne s’agit que d’un monologue récité. Il n’en est rien. Dans le décor sobre composé de morceaux de sommets montés sur des barres de fer, les trois comédien·ne·s évoluent comme autant de voix. Rien de grandiloquent dans ce spectacle donc, mais beaucoup de finesse et de poésie. Cela tient en grande partie à l’ambiance musicale créée par Didier Métrailler. Sur le devant de la scène durant la préparation de l’expédition, le bruit de métronome et les percussions qu’il joue évoquent le tic-tac de l’horloge, dans cette attente insoutenable avant de pouvoir prendre le départ. Il ira ensuite se terrer en fond de scène pour alterner les musiques angoissantes ou plus calmes, illustrant ainsi les émotions ressenties par Reinhold Messner et ses acolytes. La lumière répond d’ailleurs parfaitement à cette ambiance : tantôt froide ou plus tamisée, elle rend compte à la fois de l’état intérieur des personnages, mais aussi de la blancheur éclatante de la montagne, parfois aveuglante. Et quand la fumée se met à envahir le plateau telle la brume, physique ou mentale, on ressent l’errance des personnages, qui deviennent fous, souffrant du mal des montagnes. Le tout fait alors résonner les mots de Mali Van Valenberg et de Reinhold Messner, porté par les trois voix. Trois voix qui ne sont d’ailleurs pas anodines. On pourrait penser que le récit aurait pu être porté par une seule personne. Oui mais… le rythme n’aurait pas été le même. En choisissant de faire porter les mots par trois comédien·ne·s, Olivier Werner permet au texte de ne pas s’engluer dans la monotonie : les mots rebondissent, résonnent, les émotions évoluent, la panique se fait sentir avant le retour au calme, le tout dans une partition millimétrée qui fonctionne à la perfection.
Sans image, avec un décor minimaliste, la Cie Jusqu’à m’y fondre nous emmène ainsi sur les plus hauts sommets, et c’est bien exécuté qu’on a l’impression d’y être : toutes les images mentales se créent au fur et à mesure. Un grand moment de théâtre.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Versant Rupal, de Mali Van Valenberg, du 26 juillet au 5 août 2022 au Théâtre de l’Orangerie.
Mise en scène : Olivier Werner
Avec Mali Van Valenberg, Céline Goormaghtigh, Didier Métrailler et Pierre-Isaïe Duc
https://www.theatreorangerie.ch/events/versant_rupal
Photo : © Céline Ribordy