Virgin Mountain : le grand saut
Douze ans après Nói Albinói, Dagur Kari nous emmène dans une Islande sans aurores boréales mais pas sans charme. Dans Virgin Mountain, il explore la personnalité d’un solitaire introverti qui fera bien malgré lui l’expérience de la maturité.
Fúsi n’est pas du genre à compter les calories. Bagagiste à l’aéroport de Reykjavik, ce grand timide au cœur tendre ne se défend pas quand ses collègues le harcèlent. À 43 ans, il vit encore chez sa mère et passe son temps libre à jouer avec ses soldats de plomb. Sa rencontre inattendue avec l’intrigante Sjöfn pourrait néanmoins le pousser à sortir de sa réserve.
Même le paradis a son antichambre
Quiconque a déjà foulé les terres d’Islande ou en a rêvé aura certainement le cœur en joie à la perspective de visionner un film du cru.
Nombreux sont les réalisateurs qui ont gâté le public avec des vues spectaculaires, nourrissant ainsi les fantasmes de l’imaginaire collectif à l’égard de l’île de glace. Dans Mariage à l’islandaise (Valdis Oskarsdottir, 2008), la photographie avait largement participé au succès du film et probablement contribué à l’augmentation du tourisme dans le pays.
Autant être prévenu, dans Virgin Mountain, rien n’évoque la nature enchantée de l’île. Pas un volcan ni le moindre glacier à l’horizon.
Tourner en Islande sans en capter la nature omniprésente c’est comme filmer New York sans les gratte-ciels de Manhattan. Cette absence de repaire géographique ne doit pourtant rien au hasard. Elle prend un sens symbolique en représentant le confinement dans lequel le personnage principal s’enferme volontairement.
L’horizon de Fúsi (Gunnar Jónsson) se limite en effet à son appartement, son lieu de travail et au restaurant asiatique dans lequel il mange le même plat chaque vendredi soir. Il n’est jamais sorti de l’île et on serait en droit de supposer qu’il n’est jamais allé bien au delà de la capitale non plus.
Cette volonté du réalisateur de calquer sa caméra sur l’horizon restreint du personnage est particulièrement perceptible dans les scènes tournées à l’aéroport. Dans la scène d’ouverture, on passe d’un premier plan serré sur Fúsi au volant de la camionnette à bagages, à un plan large sur le tarmac de l’aéroport. Filmée depuis les airs, la prise permettrait aisément de découvrir le paysage qu’on imagine fabuleux en hors-champs, mais elle se focalise délibérément sur le bitume. La camionnette qui circule lentement au milieu de l’étendue grise semble seule au monde, tout comme son occupant.
Prisonnier du monde aseptisé qu’il s’est créé, c’est seulement par procuration que Fúsi s’autorise l’évasion, en regardant les voyageurs emprunter la passerelle qui les mène à l’avion, à l’ailleurs. Mais qui est donc cet homme aux perspectives si limitées ? Et saura-t-il les faire évoluer ?
Une étincelle puis en roue libre
De ce personnage doux aux faux airs de Hagrid, on ne sait pas grand chose, si ce n’est que ses journées semblent aussi répétitives que celles de Bill Murray dans Un jour sans fin. Son quotidien paraît bien terne mais il s’en accommode sans broncher.
Lorsqu’il surprend sa mère en pleins ébats avec son nouveau compagnon dans la salle de bain, Fúsi est gêné mais il n’y voit pas pour autant un signe pour prendre son indépendance.
Encaisser plutôt que risquer le changement, une stratégie bien connue des angoissés et dont Fúsi use sans modération. Mais le hasard voudra qu’un soir de tempête, le vent tourne pour lui. Sa rencontre fortuite avec Sjöfn (Ilmur Kristjánsdóttir), une femme pétillante et psychologiquement instable l’obligera à sortir de sa zone de confort.
Elle lui ouvrira les portes d’un monde dont il a tout à apprendre. Découvrant le sentiment amoureux, il sera prêt à déplacer des montagnes. Mais le laissera-t-elle faire ?
Le point fort du film est de ne pas tomber dans le schéma simpliste de la rencontre « qui change tout ». Si cette relation donnera clairement un nouvel élan à Fúsi, elle ne le ménagera pas et il lui faudra de l’endurance pour s’aventurer en terrain inconnu. Il sera souvent peu récompensé de ses efforts, comme lorsqu’il sera injustement soupçonné de gestes déplacés à l’égard de la petite fille de ses nouveaux voisins.
Le film flirte en permanence avec la corde sensible du spectateur mais évite subtilement la sensiblerie, notamment par le biais d’un ressort comique bienvenu. Comme lorsque Fúsi se rend à contrecœur à un cours d’initiation à la danse country engoncé dans un complet-cravate étriqué, bien trop formel pour l’occasion.
Virgin Mountain est un film humaniste sur le passage tardif à l’âge adulte dont la sincérité du propos touchera un public large. La scène finale, illustrée par un magnifique plan en contre-plongée, est un bijou de symbolisme. Porté par un duo d’acteurs impeccables, le film est la parfaite incarnation du proverbe « qui ne tente rien n’a rien ». Il montre aussi que si l’on ne peut pas métamorphoser sa nature, les rencontres, elles, peuvent nous amener à repenser notre vision du monde.
Valentine Matter
Référence : Virgin Mountain (L’Histoire du géant timide), Dagur Kari, 2015, 92 minutes
Photos : https://cubecinema.com/media/diary/vm.jpg (banner)