Les réverbères : arts vivants

Vous reprendrez bien un peu d’indifférence ?

Avec La Serveuse, dans le cadre du festival C’est déjà demain, la spectaculaire Marie van Berchem éclaire au vitriol la manière dont ce métier est vu par certain-e-s client·e·s. Une danse sociale dans laquelle le mâle égotique au regard bien réducteur en prend pour son grade. Et c’est très bien ainsi.

C’est un bar anonyme derrière lequel travaille une serveuse anonyme. C’est son petit monde dans lequel elle accueille le reste du monde… le plus souvent indifférent à la personne qu’elle est derrière la fonction qu’elle joue. Alors la serveuse en a marre et dit tout haut ce qu’elle a sur le cœur : l’indifférence, la condescendance, l’outrecuidance, le rabaissement, le voyeurisme, le sexisme, …

Il y a dans la scénographie de Vanessa Ferreira Vincente une recherche constante d’équilibre entre la forme et le fond, un esthétisme qu’on peut observer jusque dans le grésillement des lumières du bar ou l’écho sourd d’une bande-son qui se mêle avec les bruits même de ce temple païen des arts contemporains qu’est le Grütli.

Cela pourrait s’arrêter là et ça serait déjà bien. Le plus original est pourtant ailleurs, dans la mise en abîme magrittienne[1] du spectacle. Car la comédienne est serveuse. Pour de vrai. Au bar du même théâtre. Pour vivre. Et artiste. Pour rêver.

Sur un rythme rock’n’roll, le propos étrille toute une série de stéréotypes et préjugés qu’on peut retrouver à l’égard du métier et de celles qui le font. Cela ne nous dérange par exemple pas de prénommer celle qui nous amène nos verres comme on entend parfois le bobo hautain et sûr de lui parler de sa femme de ménage… Ou alors d’être surpris de retrouver cette même personne à une expo d’art contemporain parce qu’on imagine, comme les enfants, que la maîtresse d’école dort dans sa classe… Ou encore d’imaginer que derrière la robe sexy (exigée par le patron) il y a une femme qui pense à comment changer un fût de bière sans être réduite au rang d’objet sexuel[2]

Car la sexualisation de la femme « qui sert » peut à l’évidence faire partie des fantasmes de l’homme « qui paie ». À un moment donné, la comédienne-performeuse provoque d’ailleurs l’assistance en dansant lascive pour exacerber le voyeurisme masculin qui est à ce moment-là – avouons-le sans ambages, Messieurs – aussi gêné qu’émoustillé.

La talentueuse Marie van Berchem et la créative Vanessa Ferreira Vincente viennent nous titiller sur la considération genrée encore bien souvent caricaturale qu’on a des métiers de service et des gens qui l’exercent. Elles signent ainsi à elles deux un spectacle original et nécessaire, au regard artistique soigné et à la contemporanéité sociale et artistique assumée.

En conclusion, Marie travaille derrière le zinc du Grütli, certes. Mais son plaidoyer punk féministe s’adresse à toutes ses collègues, ici et ailleurs, aujourd’hui et hier. En témoigne la projection de photos et de tableaux qui montre que ce rapport avec le client est séculaire… même s’il serait temps, en 2022, de ne plus confondre serveuse et servante.

Stéphane Michaud

Infos pratiques :

La Serveuse, de Marie Van Berchem et Vanessa Ferreira Vicente, du 5 au 10 avril 2022 au Grütli – Centre de production et de diffusion des Arts vivants, dans le cadre du festival C’est déjà demain

Création : Marie van Berchem et Vanessa Ferreira Vicente

Texte et interprétation : Marie van Berchem

Photos : © Dorothée Thébert Filliger

[1] Ceci n’est pas une pipe mais un tableau, ceci n’est pas une serveuse mais une artiste…

[2] Concert de Bénabar à Montreux, le jeudi 7 avril. Au bar public le service est assuré par des hommes, au bar VIP que des serveuses… Le salon de l’auto a encore de beaux jours devant lui.

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, acteur laborieux, auteur amoureux et metteur en scène chanceux, Stéphane flemmarde à cultiver son jardin en rêvant un horizon plus dégagé que dévasté

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