Les réverbères : arts vivants

La résistance thermale : le POCHE/GVE va aux bains !

Vous ferez bien un petit massage, après votre passage par le sauna ? N’oubliez pas de bien vous rincer les pieds avant d’entrer dans l’eau… Au POCHE/GVE, on plonge dans l’univers des bains, avec La résistance thermale. Du bien-être et une goutte de politique !

Dans le petit univers des thermes que décrit Ferdinand Schmaltz, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les curistes se suivent et sont satisfaits, les maîtres-nageurs surveillent les imprudents, les masseurs jouent de leur doigté… Un seul mot : le délassement ! Du moins, c’est ce qu’il nous semble, avant que la plume acerbe de l’auteur autrichien ne vienne troubler la surface de cette eau trop lisse.

Briser la surface

La résistance thermale (Der thermale Widerstand, dans son titre original) raconte une brisure, dans une mise en scène de Jean-Daniel Piguet : celle d’un quotidien bien huilé – trop bien huilé. Alors qu’un modeste établissement de thermes coule des jours heureux, son administratrice, Mme Roswitha, nourrit d’autres ambitions. Pourquoi ne pas concurrencer les plus grands ? Pour faire du chiffre et éviter que les finances ne prennent l’eau, elle projette de s’associer avec… une multinationale de soda ! Eh oui, vendre l’eau de ses sources pour fabriquer des boissons à bulles pas du tout diététiques (ni respectueuses de l’environnement), ça rapporte gros ! Critique de l’actualité, vous avez dit ?

Face à l’administratrice Roswitha, un bouclier ne tarde pas à se lever, en la personne d’un jeune maître-nageur. Ancien curiste, ce dernier nourrit pour les bains une passion empreinte d’idéalisme, de philosophie et de revendications politiques. « Des bains pour tous ! Vous n’aurez pas nos bains ! » À la transformation des modestes thermes en lieu de bien-être élitiste, il propose une alternative presque communautaire, qui profiterait au plus grand nombre. Hélas, c’est sans compter sur la malice de Ferdinand Schmaltz, qui va l’empêcher d’arriver à ses fins : tandis que le maître-nageur campe sur ses positions (et est bien le seul), les curistes restent indifférents, l’administratrice obstinée et une flopée de personnages improbables se croisent… jusqu’au dénouement final et tragi-comique d’une satire qui ne prend pas l’eau !

Des corps et décor

Au sein de La résistance thermale, les corps résistent également. Surtout à la catégorisation : qui sont-ils, ces personnages qui évoluent sur scène ? Chaque acteur (à l’exception du maître-nageur dissident) incarne deux êtres différents : un-e curiste (reconnaissable grâce à un bonnet de bain blanc), un-e employé des thermes (administratrice, masseur) – sans oublier la représentante de l’entreprise de sodas. Les voix se mêlent au hasard de scénettes brèves, souvent énergiques, toujours percutantes, qui déroulent l’histoire grâce à un fil rouge lâche qui met progressivement en place les différents éléments de la diégèse. Pour passer d’une voix à l’autre, d’un personnage à l’autre, les corps se dénudent, se recouvrent, s’enroulent dans de gigantesques draps de bains (symbole du confort des thermes)… jusqu’à disparaître dans la structure du décor. Cette structure, c’est une montagne, une cascade, une matrice de tissu immaculé où on se couche, on grimpe, on se croise, on pénètre et on sort sans contrainte. Elle évoque la résistance de l’eau, la résistance des corps des curistes qui veulent être guéris tout en se complaisant dans leurs petits bobos, la résistance politique (lorsqu’elle devient lieu de révolution, un drapeau rouge planté à son sommet – ce qui m’évoque étrangement La Liberté guidant le peuple de Delacroix[1], comme un clin d’œil avec le côté révolutionnaire du maître-nageur dissident).

C’est sans doute l’ensemble ce dispositif, alliant un décor très organique, un texte multi-dialogique et une histoire éclatée qui concourt à la force de La résistance thermale : une pièce qui questionne de manière indirecte, qui parle de nos petites personnes, de notre petit bien-être, de la manière dont on veut construire notre société et de la philosophie qu’on se construit. À voir sans tarder, tant pour les mots de Ferdinand Schmaltz (dans une traduction de Mathieu Bertholet, le directeur du POCHE/GVE) que pour le rire qu’ils suscitent !

Magali Bossi

Infos :

La résistance thermale de Fernand Schmaltz, du 15.10.2018 au 16.12.2018 au POCHE/GVE.

Mise en scène : Jean-Daniel Piguet

Avec Nadim Ahmed, Christina Antonarakis, Rébecca Balestra, Julie Cloux, Baptiste Coustenoble, Fred Jacot-Guillarmod

https://poche—gve.ch/spectacle/la-resistance-thermale/

Photos : © Samuel Rubio

[1] Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Libert%C3%A9_guidant_le_peuple.

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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