Les réverbères : arts vivants

Rire face à la situation

Si rire, c’est bon pour la santé, serait-ce le meilleur moyen de lutter contre le virus ? Peut-être pas. Mais c’est en tout cas le parti pris par Corona Circus, la revue de Thierry Meury au P’tit Music Hohl, qui s’intéresse à tout ce qui a fait l’actu de la Covid-19.

Après avoir rappelé les gestes barrières et normes sanitaires en vigueur : port du masque (mais sans tuba, comme il le fait remarquer à Jean-Marc Morel qui se prépare pour la deuxième vague), lavage des mains, distanciation sociale (qu’il pratique avec ardeur auprès de sa femme), Thierry Meury explique qu’il a, faute de budget,  repris le même décor et les mêmes costumes que lors de sa dernière Revue du Gniolu, qui avait dû être arrêtée en mars. Qu’à cela ne tienne ! Frédéric Hohl lui prête la salle du P’tit Music Hohl pour jouer son Corona Circus, comme un pied-de-nez à la cause du précédent arrêt. Accompagné des mêmes comédien.ne.s, Thierry Meury revoit les événements de ces derniers mois sous sa loupe aux traits grossissants, à travers une série de sketchs qui constituent cette revue. Comme au cirque, les numéros s’enchaînent.

Des potins en guise de fil rouge

Accoudés au bar enfin réouvert, les personnages déjà aperçus dans le Revue du Gniolu sont de retour : la tenancière (Véronique Mattana), l’employé (Jessie Kobel), Thierry Meury en personne, ainsi que Grande Gueule, dit GG et tous les personnages qui gravitent autour (tous interprétés par Jean-Marc Morel). Les brèves de comptoir qu’ils racontent autour d’un verre de rosé et de la lecture du journal servent de fil rouge à la pièce. Prenant le contrepied des habitudes des revues, Thierry Meury choisit de disséminer ces « potins »[1] tout au long du spectacle, plutôt que de les réunir en un seul sketch. Ceci lui permet de créer une continuité dans tout le spectacle, et d’introduire les thématiques des différents sketchs, à travers les blagues des différents protagonistes. C’est également un moyen de parler de certaines des principales victimes de la crise : les patron.ne.s de bars, restaurants et autres établissements. Quel bonheur pour les clients et pour la tenancière (malgré sa prise de poids qu’on lui fait remarquer à plusieurs reprises) de se retrouver autour d’un verre. Pourtant, tout n’est pas rose. Le chiffre d’affaires peine encore à remonter et la question de mettre la clé sous la porte se pose de plus en plus… Sans compter la non-réception des RHT (indemnisations pour réduction d’horaires de travail) que la Confédération lui doit depuis le mois de mai. Contactant directement les autorités compétentes (Mauro Poggia, à qui s’adressent toutes les requêtes cantonales quel que soit le département, ou le bureau d’Alain Berset au niveau fédéral), Véronique Mattana illustre bien les méandres des administrations, avant de parvenir enfin à atteindre la personne souhaitée.

Toutes les « victimes » ont leur mot à dire

Mais les propriétaires de bar ne sont pas les seul.e.s touché.e.s par cette crise. Sans parler des victimes directes – les morts, pour ne pas les nommer – c’est toute une ribambelle de personnages qui défilent au gré des sketchs : la vieille dame en maison de retraire que personne ne vient plus voir, dans un moment poignant et plus sombre que le reste du spectacle, l’infirmière qui ne compte pas ses heures et ne peut pas se plaindre auprès du médecin chef, trop occupé à donner des interviews et qui la paiera… par applaudissements ! Thierry Meury n’oublie ni n’épargne personne, qu’il s’agisse des politiciens qui n’ont pas toujours su réagir correctement, des cyclistes qui ont reçu de nombreux aménagements, et tous les conflits que cela engendre… On évoquera encore les couples, pour qui le confinement n’a pas toujours été simple : entre disputes et violences ou, au contraire, possibilité de se rapprocher, les conséquences ont été aussi nombreuses que diverses. D’autres sujets, ne touchant pas directement au virus, sont également évoqués : l’écriture inclusive fait par exemple l’objet d’un sketch, dans lequel on nous montre à quel point il est difficile d’écrire un discours politique incluant tout le monde, sans aucune discrimination… Dans sa Revue, le comédien genevois dresse donc un portrait complet de toutes celles et ceux qui ont gravité autour de la crise due au virus, mais aussi à ce qui a fait l’actu de ces derniers mois. Toujours drôles, souvent touchants, parfois détestables, tous ont eu et auront encore un rôle à jouer dans ces moments difficiles qui sont loin d’être terminés.

Cette Revue n’en serait pas une sans la présence de quelques chansons. Et qui d’autres que l’excellente Véronique Mattana pour les interpréter ? Elle emmène le public directement dans le vif du sujet, lorsque Mélissa devient Corona, ce sale virus chinois.  On soulignera ensuite son incroyable performance de diction sur une chanson d’Alice Dona, même si, de sa propre confession, elle n’a aucun mérite, puisqu’elle la chante depuis 30 ans. Qu’importe, l’ovation à la fin du morceau était méritée ! Il y a enfin, en guise de conclusion, une chanson sur un sujet qui divise les Genevois : les vélos. Vous avez deviné ? Non ? Si je vous dis « À Genève, à vélo, on emmerde les autos… »

Du Meury pur jus (ou plutôt rosé, c’est selon…)

Dans ce spectacle, on retrouve aussi ce qui a fait le succès de Thierry Meury durant sa carrière et dans ses dernières revues. Outre les coups de téléphone à diverses institutions (et toujours, le fameux au Fan’s Club d’Alain Morisod…), il nous régale, comme il le fait si bien, avec sa revue de presse. 2020 oblige, c’est aidé d’un diaporama sur écran qu’il la présente, mêlant manchettes et titres d’articles loufoques, agrémentés de ses piques (devenues Meuryseries sur Facebook) toujours bien senties dont il a le secret. Et puis, il y a ses célèbres jeux de mots qui s’égrainent sur tout le spectacle, jusqu’au paroxysme du calembour, lorsqu’il parle des cas (cas par cas, cas échéant et tant d’autres, qu’il faut découvrir), dans un petit bijou d’écriture. Quel plaisir de retrouver tout cela !

Du plaisir, c’est ce qui ressort de ce Corona Circus. Le plaisir pour les spectateur.trice.s, évidemment, d’assister (même masqués) à un tel spectacle d’humour. Le plaisir aussi pour les comédien.ne.s de se retrouver sur la scène, face à un public. Car c’est cela qui les fait vivre, qui les fait vibrer. Je n’oublierai pas l’émotion sur leurs visages, au moment des saluts d’abord, mais surtout en discutant avec elle et eux après le spectacle, ne sachant pas de quoi les prochains temps seront faits. Plus que jamais, nous avons besoin de partage et de solidarité. Deux valeurs que les comédien.ne.s de ce Corona Circus mettent parfaitement en avant, à travers tout ce qu’ils transmettent au public, pendant et après le spectacle.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Corona Circus, de Thierry Meury, du 16 septembre au 31 décembre 2020 au P’tit Music Hohl.

Avec Véronique Mattana, Jean-Marc Morel, Jessie Kobel, et Thierry Meury et Jacques Mooser en alternance

http://musichohl.ch/?page_id=18

Photos : © P’tit Music Hohl

[1] Comprenez par-là toutes les idées de sujet qui n’ont pas pu faire l’objet d’un sketch à proprement parler et qui sont habituellement réunies dans un sketch, souvent en fin de spectacle, dans une situation de discussion de tous les jours (bar, caisse de supermarché, arrêt de bus…)

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