Les réverbères : arts vivants

Un mythe primitif : quand Amour rencontre Psyché

En attendant la présentation de sa saison 2019-2020, le Théâtre de Carouge clôturait cette année avec une plongée mythologique : Amour et Psyché, revisité d’après Molière par Omar Porras et le Teatro Malandro.

Des profondeurs de l’obscurité, des vapeurs lourdes s’élèvent.

La fumée court sur la terre nue, s’accroche à la sécheresse du sol, dégouline dans le précipice qui sépare la scène des spectateurs. Cette fumée, c’est celle du mythe qui se propage et envahira peu à peu toute la pièce. Parmi les ombres s’élèvent les lueurs rougeoyantes des flammes. Elles découpent des silhouettes étranges, masquées, fardées, voilées par le mystère qui drape cette insolite entrée en matière.

Un campement primitif s’élargit devant nos yeux ; on le découvre, s’habituant à la noirceur rehaussée d’or. Grotte rupestre ou rassemblement antique ? Difficile de le savoir – d’autant plus que, çà et là, des perruques estampillées XVIIe siècle brouillent davantage notre perception temporelle. Cris, rires, caquètements, gloussements et gerbes de feu… Une scansion solennelle rythme le mythe païen que cette troupe d’un autre âge tisse devant nous.

Les ombres chinoises s’évanouissent et avec elle, le songe primitif.

*

Et puis, tout s’enchaîne. Amour est le fils de Vénus. Il a le pouvoir de faire naître l’amour ; sa mère est la plus belle des déesses – adorée des mortels et des immortels. Pourtant, elle se sait une rivale, et ce savoir la ronge de jalousie. Psyché, fille de roi, belle parmi les belles, ravit à la déesse de la Beauté les honneurs qui lui sont dus. Las ! Vénus saura se venger. Se déploie alors un palais aux colonnades légères, faites de tissus drapés. Deux princesses bavardent : ce sont les sœurs aînées de Psyché – des jalouses à la langue habile (davantage pour le sarcasme que pour les jeux de l’amour). Parodie et caricature battent leur plein, tandis que de traîtres complots s’ourdissent contre la cadette…

La scène disparaît – et avec elle, les rires.

Tel un héraut, un chœur l’annonce : Psyché est condamnée, en raison de sa beauté. Le destin de la princesse est d’être livrée à un monstre sans pitié. Psyché attend, prostrée sur un rocher surplombant les nuées. Il y a là quelque chose qui rappelle ce tableau si cher aux Romantiques, Le Voyageur contemplant une mer de nuages de C. D. Friedrich. Et soudain… ! Un monstre invisible l’emporte. Émoi lorsqu’on voit Psyché s’envoler dans la fumée, soulevée par d’invisibles filins. Par un escamotage tordant, la totalité de la scène nous est résumée par deux personnages secondaires qui soulignent de manière comique les difficultés qu’aurait soulevée la réalisation de ce passage particulier. Le quatrième mur tombe.

Autre temps, autre lieu : un palais façonné d’or.

Psyché y est aimée du plus doux des époux, un être dont elle ne peut néanmoins connaître la véritable apparence : c’est Amour lui-même, vêtu comme le Louis XIV que Molière savait si bien charmer, portant perruque, bas et chaussures à boucles. Psyché a tout pour être heureuse, adorée par l’Amour amoureux – mais l’ignorance dans laquelle elle se trouve la tourmente. L’irréparable est commis et la voilà châtiée, abandonnée d’Amour. De Vénus qui se gausse, elle implore le pardon et devra subir une série d’épreuves pour expier sa faute. Nous quittons ici les rivages dorés du mythe pour entrer dans une face plus sombre, plus cruelle : derrière des écrans semi-transparents, Psyché subit les tourments sadiques de Vénus qui n’est jamais satisfaite. Peu à peu, ces épreuves la font grandir…

Évidemment, la fin sera heureuse dans cet Amour et Psyché que revisite avec brio Omar Porras et la troupe du Teatro Malandro. Mais au final, est-on plongé dans la Grèce antique, prisonnier d’un temps encore plus ancien, ou face à une pièce épousant les codes du XVIIe siècle ? Sans doute un peu des trois. Molière n’est jamais loin et pourtant, Omar Porras s’amuse à le jouer, à le déjouer, tantôt le révérant (par exemple, en conservant son texte), tantôt le parodiant (grâce à des costumes et des attitudes caricaturaux).

Un seul regret demeure : que la pièce se termine. Bravo encore.

Magali Bossi

Infos pratiques :

Amour et Psyché d’après Molière, du 30 avril au 17 mai au Théâtre de Carouge.

Mise en scène : Omar Porras

Avec Yves Adam, Jonathan Diggelmann, Karl Eberhard, Philippe Gouin, Maëlla Jan, Jeanne Pasquier, Emmanuelle Ricci et Juliette Vernerey.

Photos : ©Mario Del Curto

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé. Elle aime le thé et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Présidente de l’association La Pépinière, elle est responsable de son pôle Littérature. Docteure en lettres (UNIGE), elle partage son temps entre un livre, un accordéon - et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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