ADN : Famille, je vous hais !
ADN, le nouveau film de l’actrice-réalisatrice Maïwenn Le Besco explore les méandres de la famille lorsque le seul lien qui l’unissait, s’éteint. À trop se chercher, entre origines et identité, Maïwenn finit malheureusement par nous perdre.
« Papi, ça va ? » demande le petit-fils d’Emir Fellah à son grand-père, en EHPAD après un AVC. Ce dernier a eu une vie riche, d’Alger à Paris où il rencontrera sa femme, sa thèse sur la condition des émigrés de Gennevilliers, son engagement communiste… mais, pour tout dire, il ne va pas très bien. Et s’il pleure, encore, est-ce sur cette vie passée et tout ce qu’il a perdu, ou l’implosion de sa famille qu’il ne perçoit que trop bien, lorsqu’il ne sera plus ? Car, à sa mort, c’est sa descendance tout entière qui se décompose. Emir en était la colonne vertébrale, le seul lien capable d’unir tous les autres.
Il y a Kevin (Dylan Robert) le neveu de Neige, Ali (Florent Lacger) et Matteo (Henri-Noël Tabary) les frères de Neige, les trois enfants de Neige, et Neige (Maïwenn). Avec son look à la Amy Winehouse, l’actrice-réalisatrice situe tout le monde par rapport à elle, comme si elle était le centre du film. Or, si cette famille tient, ou en tout cas si elle se donne l’illusion d’en être une, c’est grâce à Emir, pas à elle. Mais tout est vu par son prisme, de même que les relations qu’elle noue avec ses sœurs et sa mère Caroline (Fanny Ardant dans un terrible contre-emploi).
« C’était comment l’enterrement de ton grand-père ? – Une émotion indescriptible. (…) Non, je t’assure, cela donnait vraiment envie de mourir. » (François)
Nous sommes au mois d’août, il fait chaud et l’ambiance est pesante. Les scènes sont fortes, les cris aussi, tout comme les blagues que fait François (Louis Garrel), l’ex-compagnon de Neige. Alors, pourquoi reste-t-on à l’écart, à côté de cette famille, comme indifférent au drame qui l’accable ? Peut-être parce que tous les protagonistes (à l’exception de François) sont profondément antipathiques. Intransigeants, rigides, figés dans leurs certitudes et ceux qui ne pensent pas comme eux sont stupides. L’autre raison qui fait décrocher (pour ceux qui auraient préalablement accroché), ce sont les (bonnes) idées inabouties. Ainsi, le lien entre Emir et son petit-fils, malgré les différences culturelles, chants coraniques pour l’un, rap et joints pour l’autre, qui n’empêche pas une immense tendresse, est tout simplement oublié après l’ouverture du film, le petit-fils ne faisant dès lors que des apparitions plus proches de la figuration que d’un rôle secondaire.
Une vie résumée en quatre sacs-poubelle, deux tableaux et deux plantes vertes
Le cadrage, en plan serrés, se veut réaliste. Trop, peut-être. Les autres membres de la maison de retraite sont-ils acteurs professionnels ? Amateurs ? On se le demande. Si cette approche quasi documentaire manque l’objectif de vérité qu’elle veut donner aux personnages (tous semblent plus faux les uns que les autres), elle fait mouche cependant lorsqu’il s’agit de dénoncer l’inhumanité de ces lieux de vie (de même que la froideur de l’administration ou des entreprises de pompes funèbres). Ainsi, le directeur : « On est là pour vous. En revanche, il faut libérer la chambre demain pour midi… Midi, midi et quart. »
Une attitude qui contraste avec celle de Neige, fortement affectée par cette perte et qui embrasse son père sur la bouche dans une illusoire tentative de lui insuffler la vie, s’allonge sur son lit froid, espérant en recueillir encore un peu de chaleur, ou garde son pyjama et l’urne funéraire comme des reliques. C’est aussi tragique que désespéré.
Réalisme sans complaisance
Or, la famille se réunit, soudée, autour du mort. Soudée ? Les tensions surviennent bien vite. Le choix du cercueil (Chêne ou carton ? Chêne. Mais, c’est pour une incinération !), de même que la religion (peut-on imposer ses propres rites à une personne qui n’est plus là pour se défendre ? Chacun essayant de se le réapproprier) donnent lieu à des discussions sans fin. Et, toujours dans cette volonté documentariste, la veillée mortuaire, l’enlèvement du corps… tout est décrit avec minutie, et sans complaisance.
« Il va falloir faire attention à ne pas te laisser envahir par la tristesse » (François à Neige)
Sans émotion, aussi, ce qui est plus dommageable. À de rares exceptions près : le gros plan sur les vis qui scellent le cercueil, quand Caroline joue nerveusement avec ces mêmes vis lors de la cérémonie religieuse, le poème final (Lettre à ma fille, d’Idir).
C’est tout ? Oui, car le reste est d’une cruauté morale inouïe, notamment lors de la cérémonie religieuse avec la passe d’armes entre Neige et Caroline. C’est pourtant le même sang qui coule dans leurs veines mais c’est le grand-père, seul, qui était leur ADN.
La seconde moitié d’ADN est plus introspective. Cela devient un film sur la reconstruction, l’identité, la culture ; le long métrage grave d’une réalisatrice en manque de repères, peut-être cathartique pour elle mais qui n’émeut pas. D’ailleurs, à la fin, le film se perd un peu, comme son héroïne du reste. Quant au public, cela fait malheureusement longtemps qu’il l’est, largué.
Bertrand Durovray
Référence :
ADN, de et avec Maïwenn Le Besco, avec aussi Fanny Ardant, Louis Garrel, Marine Vacth, Caroline Chaniolleau, Alain Françon, Omar Marwan. 90 minutes. Sortie en salle le 28 octobre.
Photos : © Malgosia Abramowska